Une année dans un collège en Essonne !
Dessinez Créez Liberté a renouvelé cette année un projet de parcours avec un collège en Essonne. Tout comme l’année passée, nous avons pu suivre une classe de 4e de la classe de « Madame Bénédicte. »
Le principe d’un parcours est de rencontrer à plusieurs reprises un groupe ou une classe dans l’objectif de construire un cheminement pédagogique plus complet et dense qu’une intervention dite « one shot. » Dans le cas de cette classe de 4e, nous nous sommes rencontrés six fois cette année. Pour notre plus grand plaisir !
« Charlie Hebdo c’est un m’sieur qui fait des caricatures »
L’intérêt d’avoir plusieurs séances avec un groupe est donc de pouvoir mettre en place une progression pédagogique qui permet de passer des dessins d’enfants envoyés à la rédaction de Charlie Hebdo en 2015 à des dessins contemporains soit d’actualité soit qui ont suscité une polémique. Autrement dit, c’est avoir le temps de poser les termes et de donner des définitions aux outils théoriques qui seront utilisés dans le cadre d’analyse de dessins plus complexes.
Avec cette classe, et d’ailleurs comme à chaque fois que nous intervenons, il s’agit de donner et de présenter le contexte de création de Dessinez Créez Liberté par Charlie Hebdo et SOS Racisme, c’est-à-dire à la suite des attentats de janvier 2015, et cela à partir de quelques dessins d’enfants du projet #JeDessine. De là est abordée une multitude de sujets comme la liberté d’expression et ses limites, en passant par la liberté de croyance et la laïcité, ou bien le terrorisme et l’amalgame, ou encore la caricature et le blasphème. Bref, grâce au dessin, on peut parler de tout. « Charlie Hebdo c’est un m’sieur qui fait des caricatures » on entend parfois, ah ! Une grosse vingtaine de paires d’yeux curieux s’ouvrent, la parole se libère doucement et les questions fusent. Libérer la parole est l’un des objectifs principaux de nos actions. Pas déçus, voire très impressionnés de la classe de Madame Bénédicte, nous avons eu droit à des remarques et des questions empreintes de beaucoup de réflexion, de pertinence et d’intelligence ! La dessinatrice Le Meur était présente pour la première séance et elle a pu croquer et noter quelques petites phrases entendues ce jour.
Une fois que la méthode de décryptage en quatre temps fut présentée aux jeunes et ainsi qu’un brin d’histoire du dessin satirique (pour ceux qui ont séché la leçon, ça se passe ici), il s’agissait par la suite de s’attaquer à des dessins un peu plus costauds : des dessins de pros. À ce moment-là, certains élèves ont pu faire remonter des sentiments mitigés concernant des dessins polémiques qu’ils ont vu passer sur les réseaux sociaux. C’est à ce moment qu’il a fallu expliquer les mécanismes d’emballement sur les réseaux. Par ailleurs, il est toujours curieux de voir que la majorité de ceux qui rapportent des polémiques n’ont pas nécessairement vu les dessins en question et ce sont les mêmes qui lâchent un grand « tout ça pour çaaaa » en voyant l’image présumée coupable.
Lors de la dernière séance, les jeunes ont été mis en groupe pour travailler sur des dessins de Riss, Coco, Besse et Juin. L’objectif était pour eux de s’emparer des outils de décryptage et de présenter ensuite à la classe leur analyse du dessin lors de la mise en commun. Ce type d’exercice permet aussi de voir l’évolution dans l’appréciation d’un dessin qui fait appel à l’ironie ou au second degré. « Posez-vous toujours la question de ce qui choque dans le dessin : est-ce l’actualité qui est choquante ou est-ce le propos du dessinateur ? » rappelle-t-on. Ce qui donne à entendre de leur bouche, lorsqu’il fallait décrypter la Une de Riss sur les migrants oubliés lors de la Coupe du Monde de 2018 où l’on voit un petit jeune dans une bouée en pleine Méditerranée, un ballon dans la face, des remarques pertinentes comme « Bah non, Riss il se fout pas des migrants, il critique les gens qui les oublient parce qu’il y a du foot à la télé. C’est ça qu’il critique, c’est le ballon, pas le migrant. » Bingo.
« Bah non, Riss il se fout pas des migrants, il critique les gens qui les oublient parce qu’il y a du foot à la télé. C’est ça qu’il critique, c’est le ballon, pas le migrant. » Bingo.
Lorsque nous mettons en place des parcours sur plusieurs séances, nous terminons dans la plupart des cas par un atelier d’initiation au dessin de presse. L’idée est que tous les élèves se mettent dans les bottes d’un dessinateur ou d’une dessinatrice de presse. Lodi et Le Meur, du collectif Marge, ont encadré l’atelier. Dans un premier temps, nous montrons nos dessins, nous les expliquons et parfois nous leur demandons de les décrypter. Bien heureux de voir que la mécanique d’analyse est bien intégrée ! Puis, tous ensemble nous dressons une liste de sujets qu’ils pourraient aborder pour leur dessin à eux. « Qu’est-ce qui vous énerve ? Qu’est-ce que vous avez envie de critiquer et de changer dans la société aujourd’hui ? » on leur demande. Pourquoi ? Parce que c’est leur dessin, leur point de vue, leur expression singulière, alors il faut que le sujet vienne d’eux, de leurs tripes. Et ils ont eu des choses à dire et à revendiquer ! À tous ceux qui pensent qu’au collège on ne pense pas grand-chose, qu’ils viennent voir dans l’Essonne pour se faire clouer le bec !