EXPO HARCÈLEMENT, DES DESSINS POUR EN PARLER !

En mai 2023, après une année chargée et de nombreux ateliers, nous nous sommes dit à Dessinez Créez Liberté qu’il fallait imaginer un outil à partir de dessins qui permettrait d’aborder la question du harcèlement scolaire. Lorsque nous encadrions des ateliers, les jeunes évoquaient cette bête noire qui sévit au collège, au lycée et même plus tôt en primaire. On dit « harcèlement scolaire » mais il s’agirait plus exactement de certaines mécaniques de violences que l’on voit dans la cour de récréation et qui s’amplifient par l’omniprésence des réseaux sociaux chez les jeunes une fois passé le portail de l’école.

« En fait le dessin il dit la vérité et c’est pour ça que je l’aime bien »

Les dessinateurs et dessinatrices du collectif Marge se sont mis au boulot cet été et, en octobre dernier, nous sortions enfin l’exposition Harcèlement Scolaire, une série de quinze dessins abordant différentes violences qui pourrissent le climat de l’école. De l’homophobie au racisme en passant par le phénomène de réputation genré, ces quinze dessins ont été pensés pour libérer la parole chez les jeunes, les faire réfléchir à la gravité de certaines situations et leur faire comprendre que les violences sont anormales. On n’est jamais coupable d’être une victime, c’est important de le rappeler. Nécessitant un décryptage rigoureux, c’est aussi une manière de montrer comment une image – en l’occurrence un dessin – se lit et s’interprète.

Depuis début octobre, l’exposition a été demandée par plus de 1000 établissements ou structures sociales et y a été accrochée dans au moins la moitié à l’occasion de la Journée nationale contre le harcèlement scolaire du 9 novembre. Nous avons, sur le terrain, testé les dessins. Une jeune fille dans une mission locale du Havre nous a dit qu’elle se voyait dans un dessin abordant le cyberharcèlement et que nous devrions « en faire des affiches et les accrocher » pour inciter les jeunes « à parler. » Bingo. 

L’objectif était de créer un outil clé en main. Nous avons aussi mis à disposition un livret pédagogique avec notamment les décryptages de certains dessins afin d’assurer l’autonomie de l’exposition par les collègues, les profs et tous ceux qui le souhaitent. La sortie de l’outil nous a aussi permis de proposer un nouveau module pédagogique d’intervention de 2 heures, avec une première partie de médiation, de décryptage et de discussions, puis une seconde partie d’atelier pratique encadrée par les dessinateurs de l’expo.  

Le 9 novembre, nous étions dans deux collèges pour deux interventions sur ce module : le matin dans un établissement dans le 19e arrondissement de Paris et l’après-midi à Épinay-sur-Seine. La semaine qui a suivi, nous étions dans un autre bahut parisien, puis à Melun, Grigny et à Saint-Denis en fin de semaine. À chaque fois, les dessins ont été des éléments déclencheurs d’une parole qui se libère. Ils n’ont pas réglé les problèmes de violence à l’école bien évidemment, mais ils ont pu modestement contribuer à faire émerger des témoignages individuels ou plus généraux sur le sujet. Surtout, ils ont pu permettre de rappeler que ces mécaniques de violences, que l’on retrouve à l’école, sont graves, et qu’elles sont aussi les échos de mécaniques à combattre que l’on retrouve en société. 

« Normalement, elle ne parle pas trop. Mais là elle ne s’est pas arrêtée ! »

Les professeurs avec qui nous avons travaillé ont pu voir l’effet que cela a produit sur les élèves. Certains ont d’ailleurs été surpris de constater que les timides – notamment les filles – n’ont pas arrêté de prendre la parole. Les filles se sont davantage dirigées vers les dessins abordant les enjeux de sexisme, de réputations et de rumeurs. Face au dessin de Céèf sur les insultes sexistes, une jeune de 4e a d’ailleurs dit à sa copine « Mais tu sais, on me l’a déjà dit ça ! » Les profs ont aussi été stupéfaits de voir que les gamins n’ont pas bougé d’une semelle à la sonnerie de fin de cour, au bout de 2 heures d’atelier. Les petits jeunes voulaient terminer leur dessin

Après  avoir discuté et parlé de dessins et des différents thèmes abordés par l’expo, ils et elles ont pris le crayon pour s’exprimer. « Mais j’sais pas dessiner m’sieur ! », le grand classique. Peu importe, l’objectif de l’atelier était de mettre en valeur l’élève et mettre à l’honneur ce qu’ils et elles souhaitaient dire. En d’autres termes, c’était pour eux un moment d’expression qui leur proposait de dénoncer ce qui ne tourne pas rond dans leur vie. Nous avons eu tout un tas de propositions et de sujets pertinents, certains d’ailleurs que nous n’avions pas mis dans l’expo. Les jeunes, par la pratique ont d’une part compris la manière de construire un dessin et d’autre part ont réussi à traiter le sujet, et parfois d’une manière intimement personnelle. Les jeunes étaient fiers de signer leur dessin, d’avoir réalisé un travail qui parlait d’eux et dénoncer des choses qui leur pèsent : cyberharcèlement, homophobie, racket, racisme ou encore harcèlement par les profs. « Et mais vous le mettrez dans l’expo mon dessin hein !? » Chiche ! 

Cette série de dessins n’est utile que si les différents acteurs de l’éducation s’en empare. Nous avons réalisé ces dessins dans l’objectif qu’ils servent aussi ailleurs que dans nos actions de terrain. Ce sont principalement les profs doc’ qui ont demandé l’expo et qui l’ont imprimé pour leur CDI ou leur établissement. Certains nous ont d’ailleurs fait des retours en précisant que des médiations avaient été faites avec des collègues enseignants pour différents niveaux de classe. Un professeur dans le Morbihan nous indique que « les élèves, de passage au CDI, se sont souvent arrêtés devant [les] dessins. » Une prof doc d’Eure-et-Loir nous écrit :

« Je l’ai utilisée avec 6 classes de 4ème, en Éducation aux médias et à l’information (…). Nous avons étudié ensemble la planche « C’est lequel qui t’embête ? » puis je leur ai demandé de choisir la planche de leur choix, de la décrire et de l’analyser et de la présenter à la classe. Cette expo nous a permis d’aborder de nombreux thèmes et d’amener des discussions et des échanges très riches dans la classe. Aucune planche n’a été censurée. J’ai pu constater que parfois, les élèves pouvaient faire des contre-sens et que le message n’était parfois pas compris d’où la nécessité d’une éducation à la lecture du dessin de presse.  Ce travail nécessite 2h30 par classe. »

« Le harcèlement, c’est pas bien »

La lutte contre les violences à l’école ne se réduit pas à une journée de campagne au mois de novembre. Parler de ces dessins, c’est d’une part aborder sans tabou les sujets qui nuisent à l’école mais qui sévissent aussi en dehors, et c’est d’autre part apprendre à lire un objet média et journalistique engagé, le dessin. Surtout, l’objectif principal est de mettre en valeur la parole des jeunes – parce qu’ils et elles ont un tas de trucs à dire – et de leur faire comprendre que parler, échanger et discuter sont les points de départ du développement de leur esprit critique. Le caractère ludique de parler de ces sujets graves par le biais de dessins permet aussi de provoquer la réflexion sans passer par un discours lourd, infantilisant et donneur de leçons. Laissez-les parler, ce sont les jeunes qui en parlent le mieux. Et concernant les violences à l’école, nous n’avons pas entendu plus efficace que dans une classe de collégiens : « le harcèlement, c’est pas bien, des fois ça va trop loin. » 

Pour demander l’exposition, rendez-vous ici.