Biche dans un lycée parisien

Semaine de la presse et des médias à l’école

Pour préparer la rencontre entre le dessinateur et une classe de 2nde, DCL a animé une séance d’introduction au dessin de presse et à l’histoire de la caricature, avec un temps dédié à la définition du dessin de presse, à ses fonctions, à ses formes (illustration, reportage dessiné, croquis d’audience ou dessin de presse satirique et caricature) et à ses clés de lecture. Puis, un temps consacré à une petite histoire de la censure de la caricature, de la Révolution Française à Charlie Hebdo, une séquence qui permet d’analyser, iconos à l’appui, les fonctions politiques de l’image satirique, de comprendre que la caricature s’inscrit dans une longue tradition française, qu’elle est, le plus souvent, libératrice.

Séverine dans un lycée parisien, mars 2021.

Après une discussion autour de la caricature révolutionnaire, de l’article 11 de La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 («La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme: tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ») et des limites à la liberté d’expression, Séverine a traité la Monarchie de Juillet avec les fameuses caricatures de Philipon dans le journal « La Caricature » en 1831 représentant Louis-Philippe en poire et des dessins de Daumier, les journaux anticléricaux du début du XXe siècle avant de s’attaquer à des cas emblématiques dont la célèbre une de Hara-Kiri qui donna naissance à Charlie Hebdo, en 1970. L’histoire de la liberté d’expression, tissée par les crises politiques, sociales et religieuses ou nourrie par une soif d’émancipation individuelle ou collective, est étroitement liée à celle de la satire et de la caricature qui finissent, après d’âpres combats, par repousser toujours plus loin les limites de la censure et des puritanismes, à l’œuvre à toute époque. En 2021, la censure est plus numérique que politique, elle s’exerce désormais via les réseaux sociaux.

Cette phase introductive achevée, Biche, venu avec de nombreux dessins à commenter, lance sa masterclass tant attendue. Les lycéens se montrent curieux et réactifs.

Le dessinateur de Charlie se présente, décrit son dessin « Rire de la peur » qui a remporté le Prix DCL 2018 et lui a ouvert les portes de la rédaction de l’hebdomadaire satirique.

Biche à la rencontre des élèves dans un lycée parisien, mars 2021.

Il parle, ensuite, de son travail, de sa manière de l’exercer, de le penser, en solo ou collectivement, et de certains de ces dessins qui ont fait polémique.

Notamment, son détournement d’une campagne de recrutement de l’armée qui provoqua un emballement des réseaux sociaux. « Les gens qui n’étaient pas contents affirmaient que je me moquais des morts, alors que pas du tout, précise-t-il, je ne suis d’ailleurs pas un humoriste. Je ne cherche pas être drôle dans mes dessins, ma cible c’était l’institution militaire et ce qu’elle tend à vendre pour recruter des soldats. »

Biche à la rencontre des élèves dans un lycée parisien, mars 2021.

Il poursuit avec d’autres dessins sur des sujets plus « légers », comme le harcèlement scolaire qu’il a traité en détournant Tchoupi et Babar, en imaginant ces deux figures infantiles maltraités à l’école. Biche aime les grands détournements, mais il demeure friand des compositions très graphiques : il propose donc de commenter son dessin sur le séparatisme.

Biche à la rencontre des élèves dans un lycée parisien, mars 2021.

Mais il s’assure d’abord de savoir si les lycéens sont au clair avec cette notion et s’ils sont au fait du projet de loi actuellement débattu.  Un élève se lance: « c’est une loi qui vise à renforcer les principes de la République mais qui se contredit elle-même », et tente d’argumenter son point de vue. La discussion file sur la question du communautarisme, de l’emprise et des dérives du religieux sur la jeunesse ou dans certaines familles, qui se referment sur elles-mêmes et refusent les lois de la République, au prétexte que la loi de Dieu serait supérieure à la loi des hommes. Par une trouvaille graphique originale et une titraille qui puise dans l’absurde, Biche cherche simplement à ridiculiser l’islamisme et ses tenants.

Il présente d’autres dessins qui traitent de nombreuses thématiques : Georges Floyd et les bavures policières, l’avortement ou encore la pauvreté des étudiants à l’heure de la pandémie. Des sujets de société très sérieux traités de manière farfelue, atypique voire complexe dont le seul dessein est de nous déranger, et tester, en filigrane, notre aptitude à être bousculés.

Cette rencontre avec Biche a permis de reposer les enjeux qui sont la raison d’être de DCL: Qu’est-ce que l’humour noir ? Qu’est-ce que l’ironie ? Qu’est-ce que l’autodérision ? Ces élèves arrivent-ils à identifier ces différents registres de l’humour ? En comprennent-ils la vocation ? Savent-ils dépasser le premier degré et jouer avec le second, pour interroger la nature du rire, qui consiste le plus souvent, non pas à rire, mais à réfléchir ?

« Être dessinateur de presse, insiste Biche, ce n’est pas faire du gag et des petits dessins humoristiques. C’est faire un dessin politique, et cela tient au message qui est derrière. »

En fin de séance, la parole circule et les questions fusent.

Intervention DCL dans un lycée parisien, semaine de la presse © Biche pour Charlie Hebdo, paru le 24 mars 2021.

Comment choisit-on la couverture à Charlie ?

Rarement de la même façon chaque semaine, mais c’est toujours le fruit d’une discussion. Parfois on rigole, parfois on s’engueule, mais on arrive toujours à faire quelque chose.

Est-ce que vous vous sentez en danger depuis les attentats ?

Je suis à Charlie depuis 2018. En 2015, j’avais 19 ans, j’étais encore étudiant, donc non, je ne me suis pas senti en danger. Par contre, j’ai eu envie de travailler encore plus le dessin de presse, pour en faire mon métier.

Est-ce que vous avez parfois de mauvais pressentiments ?

Vous savez, à Charlie, les croyances … ce n’est pas trop notre truc…

Vous êtes-vous déjà autocensuré ?

Non, je n’en ai pas le sentiment. Je ne me suis jamais posé la question en fait. Mais jamais je ne me suis dit : « non, je ne peux pas faire ça parce que cela va m’attirer des emmerdes ». Quand on travaille pour Charlie, c’est un réel engagement, politique et humain, donc si on choisit de travailler pour ce journal, et moi c’était mon rêve d’ado, je ne vais pas me censurer. Je vais plutôt user de ma liberté sans céder à la peur.