Simon Fieschi, « l’impressionnant » souvenir d’une enseignante de lycée
Fin, drôle et bourré de réparties, Simon Fieschi avait les mots justes et pertinents pour parler aux jeunes et aux moins jeunes. Parler et faire parler. Parler de soi et de son parcours, mais aussi et surtout faire parler les lycéens et les lycéennes dans la salle de classe pour leur faire comprendre, par l’usage, ce que c’est que la liberté d’expression. Une prof chez qui nous sommes allés avec lui nous envoie un petit mot.
IMPRESSIONNANT : adjectif,
- qui produit une forte impression sur l’esprit (synonymes : bouleversant, émouvant, spectaculaire, frappant, effrayant)
- qui atteint une importance, une dimension considérables (synonymes : formidable, grandiose, prodigieux, monumental)
Impressionnant. C’est l’adjectif que je choisis quand je repense à Simon Fieschi et à l’effet qu’il a eu sur mes élèves lors de chacune de ses interventions dans mes classes.
Impressionnant silence lorsqu’il entrait, claudiquant, avec sa béquille, portant dans sa chair les stigmates de l’horreur du 7 janvier 2015.
Impressionnant courage lorsqu’il évoquait avec une pudeur stoïque, les attentats de Charlie Hebdo, sans positionnement victimaire stérile, mais avec cette ferme volonté d’exhiber la barbarie des terroristes, pour mieux la dénoncer et, peut-être, l’exorciser.
Impressionnante capacité à détendre l’atmosphère et à capter son auditoire d’ados dès qu’il prenait la parole avec son autodérision, son vocabulaire transgressif et son humour potache.
Impressionnante écoute des avis de chacun, quand il érigeait en loi suprême le respect de toutes les opinions, à la seule condition qu’elles n’incitent pas à la haine.
Impressionnante disponibilité pour expliquer, se confronter aux questions des élèves, souvent sans filtre, et argumenter avec une culture aussi vaste que sa curiosité.
Impressionnante appétence pour le débat contradictoire, la joute oratoire et la provocation, tantôt gratuite « parce qu’il faut bien rigoler un peu » mais le plus souvent constructive, dans le but de titiller l’intelligence et de faire réagir face à ce qui est réellement choquant dans notre société.
Impressionnante méthode lorsqu’il apprenait à « décrire, contextualiser, interpréter, donner son avis » sur les caricatures et expliquait leur saine nécessité dans une société démocratique dont la vitalité est garantie par le débat contradictoire et la liberté d’expression.
Impressionnante sagesse de reconnaître que l’esprit libertaire et contestataire de Charlie Hebdo pouvait parfois dépasser les limites, et que, dans ces cas-là, la justice était là pour sanctionner mais que cela n’avait pas été le cas concernant les caricatures prises comme prétextes par les terroristes pour justifier leur attentat.
Impressionnante tolérance expliquant que « Je suis Charlie » ne signifie pas que l’on cautionne tout ce qui est écrit ou dessiné dans le journal satirique mais qu’on lui reconnaît la possibilité de le faire librement.
Impressionnante pédagogie pour quelqu’un qui s’était présenté à moi comme un ancien fumiste « qui ferait cette fois-ci un effort pour être à l’heure au bahut ».
Impressionnant engagement, quasi messianique de ce rebelle « déconneur » œuvrant sans tabou ni démagogie au sein de l’association « Dessinez Créez Liberté » pour éclairer les consciences de nos élèves.
Impressionnante efficacité de «Monsieur Fieschi » dont les deux heures d’intervention en classe valaient tous les cours d’EMC (Enseignement Moral et Civique) et d’EMI (Education aux Médias et à l’Information) et donnaient de la bonne humeur pour le reste de la semaine…
… Et finalement, impressionnante tristesse à l’annonce de la disparition de Simon, à qui je veux redire ici ce que mes élèves lui avaient unanimement exprimé après sa venue au lycée :
« MERCI ! »
Marie Cuirot, professeure d’histoire et d’histoire des arts au lycée Jules-Ferry