Riss et Agathe dans un collège REP+ de l’Essonne

Semaine de la presse et des médias à l’école

Pour clôturer le parcours pédagogique de 6 séances mené avec une classe de 4ème, DCL a organisé la venue de Riss, dessinateur et directeur de Charlie Hebdo, sans le dire aux élèves pour les raisons de sécurité que l’on sait…
Cette séance, pilotée par la journaliste Agathe André, a débuté par un échange autour du parcours de celle-ci (construction d’une école au Népal, commentatrice des lancements d’Ariane 5 à Kourou, productrice-animatrice sur France Inter…) et par une discussion autour du métier de journaliste. Un planisphère est projeté au tableau : l’ex grand reporter de Charlie Hebdo s’appuie sur son expérience aux quatre coins du monde pour faire voyager les élèves et discuter avec eux des pays qu’ils connaissent.

Agathe André à la rencontre des élèves d’un collège de l’Essonne, mars 2021.

Tout en se racontant, elle définit les différents types de journalisme (le reportage, l’enquête, le desk, la chronique, l’interview, etc.) et explique ce qu’est un journal et comment il se fabrique du texte brut à sa publication. Elle rappelle, tout en feuilletant un exemplaire, que Charlie Hebdo ne se réduit ni à sa une ni aux caricatures : l’hebdomadaire contient 16 pages qui traitent des informations de la semaine et rassemblent des articles rédigés par toutes sortes de gens (des écologistes, des économistes, des psy, des écrivains…). Seulement, à la différence d’autres publications, les photos sont remplacées par des croquis d’audience, des reportages dessinés et des dessins de presse satiriques dont le but est de commenter et de porter un regard décalé sur l’actualité.
Puis, DCL projette une couverture de Riss traitant des migrants et du Mondial de foot en Russie, et un dessin de Schvartz traitant des migrants et de la pollution plastique, tous deux datant de juin 2018.

Riss, Charlie Hebdo le 20 juin 2018

Où l’on voit que les séances antérieures de DCL portent leurs fruits : les élèves ont acquis de nouveaux réflexes. Ils prennent désormais le temps de décrire le dessin, cherchent à le recontextualiser et à identifier les actualités auxquelles le dessinateur fait référence, avant de l’interpréter.

S’en suit une discussion durant laquelle les médiatrices cherchent à donner la parole à ceux qu’on n’entend pas beaucoup : Qu’a voulu dire le dessinateur ? Quel message veut-il faire passer ? Qu’est-ce que l’humour noir ? Êtes-vous d’accord avec ce dessin ? On évoque l’exil, les naufrages, les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants morts en voulant traverser la Méditerranée, la crise environnementale et le dérèglement climatique.

SCHVARTZ, Charlie Hebdo, le 6 juin 2018.

A propos du dessin de Schvartz, certains élèves disent être « gênés par les habits des migrants ». « Pourquoi leur mettre des vêtements déchirés et des sacs tous pourris ? ». Agathe répond : « s’ils avaient été en costard-cravate, aurait-on compris que c’était des migrants ? Le dessin satirique utilise des clichés pour nous permettre de comprendre tout de suite de quoi il s’agit. Ici, on comprend que ce sont des gens qui fuient la misère, non ? ». La 1ère heure se termine par le visionnage d’une courte vidéo réalisée avec Juin qui permet de reprendre les clés de lecture d’un dessin, d’identifier les astuces graphiques pour faire passer un message et de débattre des violences faites aux femmes. Pourquoi certains hommes en viennent à frapper les femmes ? « L’alcool. », suggère une élève en guise d’explication.

A la pause, les élèves se ruent sur Riss pour voir les dessins qu’il a réalisés durant cette séquence.

Riss à la rencontre des élèves d’un collège de l’Essonne, mars 2021.

A la reprise, le directeur de Charlie raconte ses débuts, ses premiers dessins, ses premières satires : « J’ai toujours dessiné pour moi, dans mon coin. Je ne pensais pas qu’un jour, je deviendrais dessinateur. Cela me semblait trop compliqué. En fait, on arrive dans un journal toujours un peu par hasard. Mais c’est à votre âge que j’ai commencé à faire des caricatures. »
Il se souvient, alors qu’il travaillait à la SNCF, comment il a tenté sa chance à la Grosse Bertha et réussi à intégrer l’équipe qui lancera, un an plus tard, Charlie Hebdo.

C’est quoi pour vous un bon dessin satirique ?

C’est un point de vue, c’est du dessin d’opinion. C’est essayer de communiquer et de transmettre au lecteur, ce que l’on ressent face à un événement qui nous indigne. Par définition, une caricature exagère tout, justement pour mettre le lecteur sur la voie, pour qu’il s’aperçoive que quelque chose cloche.

Les élèves sont intimidés mais concentrés. On les a rarement vus aussi sages et attentifs. Ils lui posent des questions sur son pseudo, sur son salaire, sur le matériel qu’il utilise, sur le temps qu’il lui faut pour faire un dessin, sur ses sources d’inspirations. Ils lui demandent des conseils pour bien dessiner. Et l’interrogent sur les raisons qui font que le journal reçoit des critiques.

Intervention DCL dans un collège de l’Essonne, semaine de la presse © Riss pour Charlie Hebdo, paru le 24 mars 2021.

Mais Riss aussi à des questions à leur poser et demande s’il y a des élèves qui dessinent dans la classe ? Un timide « oui » se manifeste. Et le boss de Charlie de s’enquérir : as-tu un cahier de dessins avec toi ? Avez-vous des cours de dessin ? Qu’est-ce que vous y apprenez ?

« Parce que moi, leur explique-t-il, tout ce que je connais du dessin et de ses techniques, je l’ai appris au collège. Je m’inspirais aussi des BD que je prenais à la bibliothèque du collège ou à la bibliothèque municipale. Des BD de styles très différentes. Je vois beaucoup de jeunes qui lisent des mangas, mais qui ne lisent que cela, et ne dessinent que cela aussi. Ils s’enferment dans un style et ils ne savent rien faire d’autre, alors que pour avoir une palette très large, il faut étudier le dessin humoristique, le dessin réaliste, etc. Vous pouvez aller au musée pour apprendre, c’est gratuit. (1) »

On sent que les élèves ont d’autres questions, plus sensibles, mais qu’ils n’osent pas y aller. Agathe insiste : « profitez-en, Riss est là, n’hésitez pas à vous exprimer ». Les jeunes se jettent à l’eau.

Pourquoi avez-vous eu un procès ?

Riss à la rencontre des élèves d’un collège de l’Essonne, mars 2021.

J’étais témoin en fait, je suis donc venu témoigner…Vous devez le savoir, mais le journal a été victime d’un attentat en 2015, et ça, c’était le procès des gens qui ont participé à cette attaque. Je suis donc venu raconter à la barre ce qu’il s’est passé le jour où l’attentat a eu lieu.

Ah… vous étiez là-bas?

Oui.

Est-ce que vous gardez un souvenir de ce qu’il s’est passé ?

Oui, c’est difficile de l’oublier. On ne peut pas l’oublier.

C’est quoi vos souvenirs ?

Alors, Riss a raconté. Avec calme, pudeur et précision, il a décrit comment la mort est entrée dans sa vie ce matin du 7 janvier 2015. Il a confié ce qu’il a entendu quand les terroristes sont entrés dans la salle de rédaction, ce qu’il a fait pour tenter de survivre, ce qu’il a ressenti quand la balle a traversé son corps et qu’il était certain de finir exécuté. Il a dit ce qu’il a vu. Et ce qu’il n’a pas voulu voir : les visages de ses amis assassinés.

Le récit de Riss a neutralisé chaque élève en lui-même et plongé la classe dans une écoute absolue. Ses derniers mots furent couronnés par un silence épais, brûlant mais d’une rare délicatesse. Et parce qu’il faut bien revenir dans le monde des vivants, Agathe demande, en rigolant, « et après ça, t’as encore envie de rire de l’actualité, toi ?! ».

Riss répond du tac au tac : « Il faut toujours continuer à rire, c’est humain de rire. C’est le propre de la nature humaine. Si l’on arrête de rire, on perd quelque chose de soi-même. Vous aussi, vous aimez bien vous marrer, non ?». Les élèves ricanent. C’est gagné.

Quelques jours plus tard, la classe a fait parvenir une lettre à Riss pour le remercier. A laquelle il répondra par ce dessin.

Dessin pour les élèves © Riss, mars 2021

(1) L’année précédent le confinement, DCL a accompagné une classe de cet établissement à la Maison de Balzac pour visiter l’exposition Grandville et commenter certains de ses dessins satiriques célébrant la liberté d’expression et le refus de la censure. Cette année, cette classe devait visiter l’expo Le rire de Cabu à l’Hôtel de ville de Paris mais cette sortie a été annulée en raison de la fermeture des lieux culturels, due à la situation sanitaire.