Rencontre avec Dominique Sopo, président de SOS Racisme, partie civile au procès de l’Hyper Cacher
« Lorsqu’on lutte contre le racisme, si on a un problème avec les Juifs, c’est que l’on n’est pas antiraciste! »
Dominique Sopo, président de SOS RACISME, est venu témoigner à la barre le 23 septembre au procès des attentats de janvier 2015. La veille, DCL organisait une rencontre avec ses lycéens.
La séance du 22 septembre au lycée débute par une question : « l’association Dessinez Créez Liberté a été fondée par Charlie Hebdo et SOS Racisme. Pourquoi prendre part à ce projet pédagogique d’éducation à la caricature et à la citoyenneté ? »
La réponse de Dominique Sopo est limpide : « Charlie Hebdo est depuis toujours de tous les combats anti-racistes et moi, je ne puis accepter que sur ces combats, on aille désigner et accuser de racisme des personnes qui ne le sont pas et qui, même, luttent contre ce phénomène.»
En 2007, Dominique Sopo, déjà, était venu témoigner pour Charlie au procès dit « des caricatures », intenté par la Grande Mosquée de Paris, l’Union des Organisations islamiques de France, la Ligue Islamique mondiale, et gagné par l’hebdomadaire.
Les médiatrices de DCL, une fois encore (la pédagogie c’est la répétition !), montrent la « une » de Cabu du 8 février 2006, titrée « Mahomet débordé par les intégristes » avec un Mahomet dépité déclarant : « C’est dur d’être aimé par des cons ! ». Les « cons, » évidemment, ce sont « les intégristes ». Dominique Sopo se souvient : « Cabu parlait très clairement des intégristes. C’était écrit dans le dessin. Mais certains ont manipulé l’image volontairement, en effaçant une partie du titre afin de fabriquer et d’entretenir une confusion : critique de l’islamisme et incitation à la haine envers les musulmans. »
Bien que tronquée, cette « une » avait largement circulé. « Quand quelque chose circule, insiste Dominique Sopo, il faut toujours vérifier la source d’information. A l’heure des réseaux sociaux où les phénomènes d’emballement sont démultipliés, il faut toujours se demander à quoi l’on participe. Est-ce que je participe à un débat ? À une folie du moment ? À une opération dans laquelle je suis entraîné sans la comprendre ? À rendre plus intelligente la société dans laquelle j’évolue ? Il faut être exigeant. Dans un monde où nous sommes sommés de réagir tout le temps et tout de suite, c’est toujours important de prendre du recul et de ne pas se laisser entraîner dans de bien mauvais combats. »
À la question, « pourquoi SOS Racisme s’est-elle constituée partie civile au procès des attentats de janvier 2015 ? », son président précise : « L’objet de l’association dans ses statuts n’est pas de défendre la liberté de la presse – nous sommes pour évidemment, mais ce n’est pas notre mission. En revanche, nous luttons contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations et la xénophobie, et ils se trouve que les attentats de l’Hyper Cacher sont antisémites puisqu’ils sont perpétrés en raison de l’identité juive, réelle ou supposée, des personnes qui s’y trouvaient. Nous nous portons donc partie civile associative pour rappeler en quoi ces attentats viennent perturber, profondément, le lien social. Lorsqu’on franchit des lignes rouges, tuer des Juifs parce qu’ils sont juifs ou supposés l’être, on brise de terribles tabous. Le racisme et l’antisémitisme attaquent les sociétés en profondeur et mettent en danger des personnes ou des groupes de personnes. »
Les médiatrices de DCL, faussement candides, interrogent : « Racisme, antisémitisme… Pourquoi deux mots distincts ? »
Dominique Sopo répond :
- Parce que la France, et l’Europe, ont une histoire bien particulière : celle de la Shoah et, auparavant, celle d’une longue histoire de pogroms.
- Parce que le racisme est souvent fondé sur une différence visible, l’antisémitisme, non, c’est le rejet de quelque chose qu’on ne peut pas repérer. On entend souvent : « les Juifs sont partout ! Ils dirigent le monde ! ils sont solidaires entre eux ». Mais pourquoi peut-on dire qu’ils sont partout ? Parce qu’on ne les voit nulle part d’une certaine façon. On ne dit pas des Noirs qu’ils sont partout et qu’ils dirigent le monde! Le Juif, c’est celui qui est parmi nous mais on ne sait pas où il est. Il y a toujours quelque chose de paranoïaque dans l’antisémitisme. Et la figure du Juif est utilisée dans les logiques de bouc émissaire.
- Assumer « racisme » et « antisémitisme » permet aussi de clarifier certaines positions : si l’on se réclame de l’antiracisme mais que l’on a un problème avec les Juifs et l’emploi du mot « antisémitisme », c’est que l’on n’est pas antiraciste. Une logique de haine est une logique de haine, qui, si elle se déploie, peut entraîner la destruction de groupes de population.