VIE POLITIQUE & ÉLECTIONS

Politique, Gouvernement, Violences, Démocratie

Le dessin est en noir et blanc, avec un fond bleu clair. On voit une planche de bois qui se tient à la verticale grâce à une cale à l’arrière. Au centre en haut de cette planche un trou de la taille d’une tête. On remarque quelques éléments dessinés autour de ce trou : à gauche une main dépasse tenant un couteau pointu, une autre main à droite braque un pistolet vers le centre, une corde tombe du haut et vient se nouer autour du cou d’un personnage dont on voit le buste vêtu d’un costume. Le dessin est titré « Bienvenue au Premier ministre de la semaine » dans une calligraphie ronde et élégante. En bas à gauche, la signature du dessinateur Riss.

Ce dessin est publié dans les colonnes du journal Charlie Hebdo du 28 août 2024. Le dessinateur évoque ici l’épisode de politique française qui a débuté avec la dissolution de l’Assemblée nationale décrété par le président Emmanuel Macron le 9 juin à la suite des résultats des élections européennes où le parti présidentiel a fini second avec 14,60 % des voix derrière le Rassemblement National (RN) récoltant 31,37% des voix. Provoquer la dissolution de l’Assemblée nationale implique d’organiser de nouvelles élections législatives afin de renouveler les députés. Le Président de la République a donc décidé de donner à nouveau la voix aux Français pour qu’ils votent les 30 juin et 7 juillet 2024. Les résultats des législatives sont les suivants : la coalition de gauche du Nouveau Front Populaire (NFP) récolte 190 sièges à l’Assemblée nationale. La majorité présidentielle obtient 150 sièges ; le RN récolte 125 sièges, 117 de plus qu’en 2022. La droite des Républicains (LR) dispose de 39 sièges. Aucun des partis ou des coalitions n’a la majorité absolue, c’est-à-dire qu’aucun groupe politique ou parti n’a assez de sièges pour prétendre avoir le pouvoir catégorique à l’Assemblée nationale. Le 16 juillet 2024, le gouvernement démissionne et n’assure que les affaires courantes. Emmanuel Macron est appelé à proclamer un nouveau chef de gouvernement. La candidate du NFP est proposée le 23 juillet 2024. Mais le Président de la République ne prend pas position. Emmanuel Macron est critiqué pour d’une part ne pas prendre en considération les résultats des urnes lors des législatives et d’autre part le temps d’attente avant sa nomination. À partir du mois d’août, après les Jeux Olympiques de Paris, le président consulte les différents partis et différentes personnalités politiques. Des noms circulent, certains attendent le coup de téléphone du président, d’autres font déjà leurs cartons. Sans majorité claire, chaque nom reçoit à tour de rôle des critiques virulentes de ses opposants qu’ils proviennent du personnel politique, des médias ou encore des citoyens. La seule chose certaine était que personne ne savait ce qui allait se passer, tout comme personne ne se doutait que le président allait dissoudre l’Assemblée. Il faudra attendre le 5 septembre 2024 pour que Michel Barnier, homme d’État de droite (UDR, RPR, UMP et Les Républicains aujourd’hui) soit nommé Premier ministre, à la surprise de tous. Le gouvernement Barnier est annoncé le 21 septembre 2024.

Le dessinateur ironise ici sur l’état de la politique française pendant cet épisode. Corde au cou, abattu par l’un, trahi de couteaux dans le dos de ses pairs, bref, la vie des potentiels ministrables n’est pas séduisante, bien que tout le monde semble vouloir en être. Peu importe qui mettra sa tête dans le trou pour être sur la photo et dans la fonction de Premier ministre, celui ou celle-ci sera victime de la violence du monde politique. Riss ici dénonce cette violence en ironisant avec ce titre, puisque bien évidemment, dans le contexte donné, personne ne sera le ou la « bienvenue. » L’ironie permet un double mouvement : critiquer le délire de la violence et de la situation violence du politique et défendre ce qui est le plus important, la politique et l’enjeu qu’est de faire fonctionner un Etat au service de ceux et celles qui le composent : ses citoyens. Le passage par la mise en scène de la planche où l’on passe sa tête pourrait nous faire penser qu’il y a également une forme de loisir pervers pour le citoyen à assister à cette violence, comme au spectacle.

• Corde au cou, pistolet, couteau : pensez-vous que ce dessin appel à la violence à l’égard des hommes politiques ?

• Pensez-vous que la violence est compatible avec la démocratie ?

© Riss, Charlie Hebdo, n°1675, août 2024