TRIBUNAL DU NET
Justice, Réseaux sociaux, État de droit
Ce dessin est en noir et blanc, avec quelques touches de bleu. On voit deux pingouins sur une banquise. Celui de gauche tient des feuilles sous son aile droite et ce qui ressemble à un téléphone dans son aile gauche. Ce dernier déclare dans une bulle : « Désolé je vous aurais bien défendu… mais selon Twitter vous êtes coupable. » En bas à droite la signature du dessinateur Xavier Gorce.
Ce dessin est publié sur le site internet du journal Le Monde. Xavier Gorce publiait tous les jours des dessins rebondissant à l’actualité du moment. Ici, il évoque les réactions sur les réseaux sociaux de personnes jugeant de la culpabilité de politiques et de célébrités accusés d’avoir commis des délits ou des crimes.
On devine par la phrase « Désolé, je vous aurais bien défendu » que le volatile de droite est un avocat. On en déduit que celui de gauche représente une personne à défendre et que donc il est accusé d’avoir enfreint une loi, d’avoir commis un délit ou même un crime.
Qui accuse ? Qui défend ?
Dans le dessin, le pingouin accusé-de-quelque-chose-mais-on-ne-sait-pas-quoi est considéré comme « coupable », selon le réseau social Twitter. En refusant de défendre ce premier, l’avocat empêche sa défense et n’évoque même pas la possibilité d’un procès. Ce que le dessin critique ici, c’est le substitut à la justice qui se déroule parfois sur les réseaux sociaux : au lieu de passer par toutes les étapes du processus de justice pour déterminer de l’innocence ou de la culpabilité d’une personne, la masse d’internautes s’octroie la robe de procureur et condamne du bout des doigts en pianotant sur son téléphone. La mobilisation en ligne devient juge à la place du juge. Le délibéré des internautes peut en somme parfois créer une condamnation médiatique annexe à celle du tribunal. Rien ne peut remplacer le rôle de la justice et l’importance de son exercice. Ce qui doit primer n’est pas les coups de sifflet sur Twitter, mais bien les coups de marteau en salle d’audience.
Droit et État de droit
Le fonctionnement de l’État est organisé à partir d’un socle de lois fondamentales et suprêmes : c’est la Constitution. Cet ensemble de lois fixe le cadre légal de la société. La Constitution régit toutes autres lois votées et promulguées : ces dernières se doivent d’être constitutionnelles, c’est-à-dire respecter et ne pas être contradictoires avec la Constitution. Le Conseil constitutionnel veille en France à ce que ce que toutes ces nouvelles lois – et les anciennes – respectent les droits fondamentaux de l’homme. Le Conseil d’État quant à lui chapeaute et vérifie la bonne application de la loi et du droit dans les administrations de justice et les tribunaux. Enfin, la Cour de cassation est la plus grande instance qui intervient en dernier lieu afin d’affirmer, lorsqu’elle est saisie, si lors d’un jugement ou dans un processus de justice toutes les lois et les règles ont bien été respectées. Elle garantit le bon exercice de la Justice. Toutes ces instances ont un objectif commun : garantir la primauté du droit et de la loi sur toutes autres choses, de décisions politiques du gouvernement au petit conflit de voisinage. La primauté de la loi a pour intérêt de créditer le pouvoir la Justice en France en lui donnant un rôle fondamental : permettre l’égalité entre tous les citoyens en s’assurant que ces derniers respectent la loi. C’est pour cette raison qu’il est illégal de « se faire justice soi-même » et donc de se supplanter à la Justice. Ainsi, donner du crédit aux « juges » sur Twitter reviendrait à remettre en cause le rôle de la Justice et fragiliser ce qu’on appelle en France l’État de droit.
• « Nul n’est censé ignorer la loi », est-ce possible ?
• Qu’est-ce que la présomption d’innocence ?
© Xavier Gorce, paru sur lemonde.fr, 28 juillet 2020.