RELIGION & LAÏCITÉ
Loi 1905. Liberté de conscience. Blasphème. Respect.
On voit trois personnages. Sur une estrade surélevée, un homme ventripotent et joufflu vêtu de blanc, coiffé d’une grande couronne, est vautré sur un trône portant une croix. Il fait un signe avec ses doigts en direction de deux hommes agenouillés à ses pieds. Ces deux hommes portent un costume gris et l’un d’eux lèche la semelle du personnage en blanc. Le titre est écrit en blanc sur fond rouge : « Le respect ». Une légende tout en bas du dessin vient commenter le dessin : « Le respect est un agenouillement devant quelqu’un… »
En bas à gauche, la signature du dessinateur Jossot et une date, 1906.
Le dessin a été réalisé en 1906 par le dessinateur Henri-Gustave Jossot, mais fait la une de L’Assiette au Beurre en janvier 1907, un hebdomadaire politique satirique et illustré ayant paru de 1901 à 1912. L’Assiette au Beurre, un ancêtre de Charlie Hebdo, est un journal anticlérical et athée, qui a critiqué toutes les religions, en particulier la mainmise de l’Église catholique sur les affaires politiques et sociales. L’hebdomadaire a largement milité pour la laïcité et la séparation des Églises et de l’État promulguée avec la loi de 1905.
Dès l’adoption de cette loi en 1905, une grave crise éclate entre la France et le Saint-Siège, qui voit son pouvoir diminuer : le pape condamne le principe même de séparation et interdit la formation des associations cultuelles nouvellement prévues par la loi pour administrer les biens mobiliers et immobiliers nécessaires à l’exercice du culte. Les catholiques s’opposent aux inventaires des biens du clergé et les prêtres refusent de remplir les formalités auxquelles la loi les soumet désormais.
De vives protestations éclatent. Et en appellent au respect de la liberté de culte.
Dans un souci d’apaisement, le gouvernement de Georges Clemenceau fait voter une autre loi en janvier 1907, laissant les édifices nécessaires à l’exercice du culte à la disposition des fidèles et des ministres du culte. Ils auraient dû être inventoriés et gérés par des associations cultuelles. Ils pourront finalement l’être par des associations 1901.
Respecter n’est pas se soumettre.
Le dessinateur, profondément anticlérical, dénonce une situation avec laquelle il n’est pas d’accord : c’est un dessin à charge contre l’Église catholique – le pape est représenté comme un sale type grassouillet – et contre le gouvernement représenté par des lèche-bottes.
Il ridiculise la soumission du politique au religieux et les concessions du gouvernement de Clemenceau à l’Église catholique. Un gouvernement servile à ses yeux, qui a cédé aux pressions des catholiques pour apaiser les tensions, allant à l’encontre d’une stricte séparation des Églises et de l’État et de la loi de 1905 votée deux ans auparavant, entérinant le principe de laïcité.
Le respect, au sens large, est une forme de déférence, de politesse, de civilité dont on fait preuve envers quelqu’un que l’on considère. Dans ce dessin, le respect consiste en une dévotion totale, en une soumission extrême. L’auteur raille ceux qui confondent le respect et la dévotion : respecter ne veut pas dire céder à toutes les volontés. Le dessinateur critique donc ceux qui se cachent derrière la notion de respect pour imposer leur point de vue, leurs dogmes, leur vision du monde.
Toutes les religions appellent au respect de leur dieu, de leurs dogmes, de leurs interdits et de leurs représentants. Or toute critique ou moquerie concernant les religions, qu’elle soit présentée sous forme d’articles, de livres, de films ou de caricatures, peut être perçue comme un manque de respect envers l’institution, sans pour autant manquer de respect au croyant. Il ne faut pas confondre la critique des religions avec la critique des croyants.
Respecter un croyant, c’est lui laisser la liberté de croire et de pratiquer la religion de son choix. Mais ce n’est pas se soumettre aux interdits qui ne concernent que lui (seuls les croyants blasphèment). Si l’on respectait tous les dogmes et les interdits de toutes les religions et de toutes les croyances, on ne pourrait tout simplement plus rien faire.
Pour un athée, la religion est une idée comme une autre, sujette à la critique, au doute, à la remise en cause, à l’humour : pourquoi les religions jouiraient-elles d’un statut à part, d’un traitement de faveur qui les placerait hors du champ du débat et de la polémique ? Ce dessin réaffirme la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire en Dieu, de douter de son existence et de changer de religion, la liberté d’en rire.
Il dénonce l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.
Jossot
Paru en une de L’Assiette au Beurre, le 12 janvier 1907.