RELIGION & CARICATURES DE JÉSUS

Pédophilie dans l'Église. Liberté d'Expression. Liberté de Conscience
© Coco, Une de Charlie Hebdo, n°1390, paru le 13 mars 2019

Le dessin est en couleur. On voit un personnage, plan américain, qui porte une barbe, des cheveux longs, une couronne d’épines autour de la tête et un linge blanc sur ses parties intimes. Il est crucifié : c’est Jésus Christ. Le bras droit est cloué au bois, le bras gauche ne l’est plus mais il le fut comme en témoignent le trou dans le poignet gauche et le sang sur le clou.

Le haut du visage est composé d’un organe génital masculin, un grand phallus remplaçant le nez, et les testicules faisant office de paupières. Avec la main qui s’est libérée de la croix, Jésus relève le testicule gauche et laisse apparaitre son œil. Il nous regarde droit dans les yeux.

Au centre, sur deux bouts de rouleau de parchemin répartis de chaque côté du crucifié, on découvre un titre: «Pédophilie» et un sous-titre à lire en deux temps: «L’Église ouvre…», «…enfin les yeux!».

En bas à droite la signature de la dessinatrice Coco. Ce dessin a fait la une du journal Charlie Hebdo du 13 mars 2019.

• Le 7 mars 2019, soit six jours avant la publication de l’hebdomadaire, le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, est condamné en première instance à six ans de prison avec sursis pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs. En effet, il aurait été mis au courant des abus sexuels commis par le père Preynat sur de très jeunes scouts entre 1971 et 1991, mais il aurait gardé le silence sur les agissements du prêtre.

Cette décision judiciaire à l’encontre de l’un des plus hauts dignitaires de l’Église de France provoque une onde de choc jusqu’au Vatican (qui refuse, pourtant, la démission de Mgr Barbarin) et met en lumière, une fois encore, les scandales de pédophilie qui secouent l’Église catholique depuis des décennies, en France comme dans le monde. Dailleurs, deux semaines plus tôt, du 21 au 24 février 2019, le pape François réunissait les évêques à Rome pour tenter, officiellement, d’enrayer ces graves affaires de pédocriminalité.

• Dans ce numéro de Charlie Hebdo, plusieurs articles et de nombreux dessins sont consacrés à cette thématique. L’un des appels de une nous renvoie d’ailleurs vers le reportage réalisé par la journaliste Laure Daussy en Vendée où « d’anciens séminaristes abusés par des prêtres témoignent » ; l’édito de Riss, lui, dénonce l’hypocrisie de l’Église quant au péché de chair.

Sexualiser pour mieux désacraliser.

Comme tout dessinateur de presse, Coco traite d’un sujet d’actualité. Ici, elle porte un regard sur ces scandales de pédophilie à répétition dans l’Église catholique et associe donc, tout naturellement, le sexe et la religion. Son dessin crée une situation fictive et une mise en scène qui ne se soucient pas d’être réalistes mais qui permettent de commenter la réalité. Elle dénonce l’hypocrisie et la lenteur du Vatican dans la prise en compte des victimes d’agressions sexuelles et de viols: il aura fallu attendre la mise en examen d’un archevêque et une vague de plaintes sans précédent pour que le pape François se penche, enfin, vers cet épineux problème de pédocriminalité et ces dérives qui ne datent pas d’hier.

Jouer avec les mots.

La dessinatrice joue sur le sens et la forme de l’expression «ouvrir les yeux»: à l’image de son personnage, l’Église catholique semble, enfin, regarder les choses en face et prendre la mesure de la gravité des actes commis en son sein. En représentant le visage du Christ par un sexe masculin, Coco trouve une astuce graphique choc pour illustrer à la fois le déni, l’aveuglement, voire la dissimulation de ces agressions, par l’Institution religieuse tout en incarnant les obsessions de certains prélats qui profitent de l’autorité morale que leur confère leur statut d’hommes d’église pour devenir de véritables prédateurs sexuels, pour abuser de jeunes garçons et d’adolescents sans défense. Ou pour le dire plus grossièrement, en restant au plus près du dessin: certains prêtres ne pensent «qu’avec leur bite» et le Vatican «n’a pas les couilles» d’assumer!

En somme, ouvrir un œil c’est bien, mais il serait, peut-être, temps d’ouvrir les deux yeux bien grand…

En France, le délit de blasphème n’existe pas, on peut rire des religions.

En choisissant de colorier le gland en rouge, Coco cherche à attirer notre attention sur le visage du Christ : oui, Jésus a bien « une tête de bite » ! Rappelons que ce qui est sacré pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Ici, la dessinatrice vient réaffirmer son droit d’exercer sa liberté de conscience et fait usage de sa liberté d’expression. Elle rappelle que les religions n’ont pas à jouir d’un statut à part, d’un traitement de faveur ou d’une exception qui les placeraient hors du champ de la critique, de l’humour ou de la polémique. Les limites à la liberté d’expression ne se déterminent pas en fonction de ce qui plaît ou déplaît à une personne ou à un groupe. Respecter un croyant, c’est lui laisser la liberté de croire et de pratiquer sa religion. Respecter un non-croyant, un athée ou un agnostique, c’est lui laisser la liberté de ne pas croire, de critiquer et de rire des religions, de railler et de dénoncer ceux qui violent sous couvert de celles-ci. La loi protège des citoyens, pas des mythes : on peut rire des religions, de leurs dogmes, de leurs représentants, de leurs excès, mais on ne peut pas appeler à la haine contre les croyants.

Avec ce dessin joyeux qui dénonce des actes graves, Coco utilise des procédés inhérents à la satire: la sexualisation outrancière et la grivoiserie, ces jubilations de l’excès qui malmènent, à dessein, les puritanismes en tout genre. Elle s’inscrit dans la tradition laïque, anticléricale et athée de Charlie Hebdo et dans la longue histoire de la caricature religieuse. Comme en témoigne ce portrait de l’abbé Maury, réalisé autour de 1791, qui associait déjà religion catholique et sexualité débordante: sur le principe des grotesques d’Arcimboldo, le ou la caricaturiste a façonné le visage de cette figure de la droite contre-révolutionnaire par une juxtaposition de phallus et de corps nus en train de copuler.

© COCO
Paru en Une de Charlie Hebdo, n° 1390, le 13 mars 2019.