RACISME & VIOLENCES POLICIÈRES

Discriminations. Bavures. Théo Luhaka.
RANSON, Le Coq des Bruyères, le 14 février 2017.

Le dessin est en couleur. Il illustre trois personnages :
– deux agents de police identifiables à leurs uniformes (casquettes, matraques et rangers). Ils sont blancs de peau.
– un individu qui porte des baskets et un sweat à capuche relevée sur la tête. Il a les mains dans les poches et il est noir de peau.
Dans une bulle, l’un des policiers dit : « Bamboula, c’est affectueux. »
Dans une autre bulle, le personnage à capuche répond : « Ouais, et nique la police, c’est de l’amour courtois. »
En bas à droite, la signature du dessinateur : Ranson. En bas à gauche, le logo de la publication dans laquelle le dessin a été publié : Le Coq des Bruyères. Un hebdomadaire satirique et gratuit paraissant sur Internet.

Ce dessin est publié le 14 février 2017. Or, deux semaines auparavant, le 2 février 2017, un jeune de 22 ans, Théo Luhaka, qui vit à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, est violemment interpellé par la police après un contrôle d’identité qui dégénère. Le jeune homme s’effondre après avoir subi un coup de matraque télescopique dans la zone rectale. Il porte plainte. Les quatre policiers sont mis
en examen, l’un pour viol, les autres pour violences volontaires en réunion.
Le 9 février 2017, Luc Poignant, le porte-parole d’un syndicat de police (Unité police SGP-FO) est invité à débattre sur cette affaire dans l’émission « C dans l’air ». La journaliste relaie le témoignage d’une jeune fille qui dit dans un reportage : « On se fait contrôler, on se fait traiter de bamboula, on se fait cracher dessus. » La journaliste interroge le policier sur les relations entre les policiers et les jeunes vivant dans les quartiers dits sensibles. Celui-ci déclare alors : « D’accord,
bamboula, ça ne doit pas se dire… mais ça reste encore à peu près convenable », laissant entendre que dire « bamboula » à des citoyens en raison de leur couleur de peau est devenu courant, que c’est même devenu une habitude.
Or, en déclarant cela, le policier minimise la gravité de tels propos : le terme « bamboula » est une injure raciste, une insulte grave, quand elle s’adresse à des Noirs, car il renvoie à la façon dont on les désignait au temps de l’esclavage et de la colonisation, des époques où on les considérait comme une race inférieure pour mieux les exploiter et les asservir.
Ces propos provoquent l’indignation et « l’affaire Théo » devient le nouveau symbole de la lutte contre les violences policières.

Si tout le monde se parle mal, comment se comprendre ?
Ce dessin ridiculise le policier en jouant sur le sens des mots. Si dire « bamboula » c’est « à peu près convenable », autant pousser la logique sémantique jusqu’au bout : c’est carrément affectueux.
Mais une injure raciste n’est pas une marque de tendresse, c’est un délit condamné par la loi. Certes, le dessinateur utilise des clichés, des références communes, pour identifier le personnage comme un jeune de banlieue : jogging, baskets, capuche et l’usage du « nique la police », courant dans les cités et le rap, qui est une expression imagée, extrêmement grossière, qui peut être considérée comme une insulte, voire un « outrage à agent », par la loi.
Mais en lui faisant dire « c’est de l’amour courtois », il rompt avec les stéréotypes qui voudraient que les jeunes de banlieue soient des imbéciles incultes puisqu’il connaît les codes de l’amour courtois, une tradition médiévale qui désigne le langage châtié que doit tenir un homme à l’égard des femmes de la bonne société.
Ce jeune de banlieue sait donc très bien reconnaître une insulte raciste, mais il préfère se placer au même niveau de langage que le policier pour le railler : si « bamboula » c’est un compliment, alors « nique la police » devient une galanterie.
Ce dessin est ironique : il rit du racisme et des violences policières (qu’elles soient verbales ou physiques) pour mieux les dénoncer.

© Ranson

Paru dans Le Coq des Bruyères, le 14 février 2017.