NOUVELLES CENSURES

Réseaux sociaux, Débat Public, Nouvelles Censures

On voit un homme brun. Il porte un t-shirt bleu, un jean et des chaussures marron. Il a le ventre contre terre. Ses jambes sont en l’air. Son visage est fatigué : une poche sous son œil gauche, des gouttelettes de sueur sur le front et les joues et une langue pendante sortant de sa bouche. Sa langue démesurée se trouve dans le prolongement de ses deux bras étendus devant lui.

Un énorme rectangle gris avec un écran et trois logos est posé sur ses bras et sa langue. Le premier logo est bleu clair avec un oiseau : c’est Twitter. Le deuxième est bleu foncé, rond avec un « F » blanc : c’est Facebook. Le dernier est jaune avec un fantôme blanc : c’est Snapchat. Ce gros rectangle est un smartphone dont on repère ses quelques boutons en bas à droite sur la tranche. Au bout de ses bras en bas à gauche du dessin, on remarque une feuille blanche et un crayon à papier.

On note un titre bleu : « NOUVELLES CENSURES… » et un sous-titre également en bleu en bas à droite du dessin : « … NOUVELLES DICTATURES. » En haut, le titre du journal satirique Charlie Hebdo. En sur-titre la mention « Numéro spécial 5 ans après » et un appel de une en haut à droite faisant mention d’une « Soirée exceptionnelle Charlie Hebdo sur France Info le mardi 7 janvier à 20h. »

Le fond du dessin est jaune et on repère la signature de la dessinatrice Coco au-dessus de la main droite du personnage au centre à gauche.

Ce dessin de Coco figure en une du journal Charlie Hebdo n°1433 publié le 7 janvier 2020. Ce numéro spécial a été pensé à l’occasion des 5 ans des attentats de janvier 2015 et plus particulièrement du 7 janvier 2015 où deux terroristes sont entrés dans les locaux du journal pour décimer la rédaction. Ce jour-là, douze personnes sont assassinées : les dessinateurs Cabu, Tignous, Wolinski, Honoré et Charb, les journalistes Bernard Maris et Elsa Cayat, le correcteur Mustapha Ourrad, le garde du corps de Charb, Franck Brinsolaro, Frédéric Boisseau un agent d’entretien du bâtiment, l’écrivain Michel Renaud invité ce jour-là et le policier Ahmed Merabet.

Si en janvier 2015 la censure a été pratiquée à son niveau le plus terrible, le numéro spécial de Charlie Hebdo du 7 janvier 2020 cherche à interroger les nouvelles manifestations de pressions contre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.

« Censure » et « dictature » : de quoi parle-t-on ?

La censure n’aime pas la liberté d’expression. Cette dernière, pour rappel, est la possibilité de s’exprimer, de dessiner, de peindre, bref, de communiquer des opinions et des idées, dans le cadre défini par la loi. Celle-ci détermine des limites qui, lorsqu’elles sont franchies, peuvent mettre en danger autrui : on ne peut ainsi pas appeler à la haine ou au meurtre envers une personne sous couvert d’une libre expression. C’est interdit. La censure n’est pas une affaire de cadre légal : celle-ci cherche à empêcher la possibilité d’exprimer ou de communiquer des pensées, des émotions ou des informations qui n’enfreignent pas la loi. La censure est pratiquée par un pouvoir (politique, religieux…) et peut se manifester avant ou après l’expression ou la diffusion d’une pensée. On parle de censure a priori ou de censure a posteriori.

Ici, le titre du dessin évoque la dictature. Régime politique autoritaire fondé sur la concentration de tous les pouvoirs par une personne ou un petit groupe d’individus, la dictature n’a pas d’autres lois que l’arbitraire de celui qui est à sa tête. Il opère par le contrôle physique et mental de ses sujets. La dictature n’autorise pas qu’on la critique dans la mesure où elle se maintient par la restriction des libertés de la population. Censure et dictature n’aiment pas trop la démocratie.

Nous avons dans ce dessin un personnage qui est paralysé : le téléphone, démesurément gros et grand pèse sur ses bras et l’empêche de prendre le crayon et la feuille. On imagine que celui-ci s’apprêtait à dessiner ou à écrire. Ce dessin figurant en une du journal satirique de dessin de presse Charlie Hebdo, on en vient à penser qu’il représente donc un dessinateur ou un caricaturiste. Plus encore, il est lui-même le représentant de ce que l’on invoque quand on dessine : la liberté d’expression. C’est donc ici le téléphone et les réseaux sociaux qui l’empêchent de s’exprimer librement.

Nouveaux censeurs, nouveaux dictateurs.

Les responsables de la censure ici sont suggérés par la dessinatrice Coco. Ce n’est pas tellement le téléphone en soi, mais plutôt les réseaux sociaux (Snapchat, Facebook, Twitter…) que l’on remarque sur l’écran. On comprend donc deux niveaux de responsabilité : celle des plateformes et de leur politique d’utilisation, puis celle des utilisateurs qui pensent pouvoir y exprimer sans limite ni contrainte toutes leurs pensées. La censure potentielle est donc double. Elle est tout d’abord opérée par les plateformes qui certes relèvent d’un fonctionnement privé mais qui restreignent le champ de la liberté d’expression (vulgarité, grossièreté, érotisme…) ou qui autorisent des discours qui sont normalement punis par la loi (discours de haine, complotisme, fakenews…). La censure se manifeste aussi par le biais des utilisateurs : face à un discours ou une pensée qui déplaît, il arrive que, de manière organisée, l’utilisateur puisse avoir le pouvoir de nuire à l’autre. On pense par exemple aux raids ou aux harcèlements en ligne organisés. Dans les deux cas, c’est l’impossibilité du débat démocratique et la non-acceptation d’une opinion qui diffère de la sienne. C’est cela qui est critiqué par Coco dans ce dessin.

Plus encore, elle dénonce en nommant cela « dictatures » la substitution des pouvoirs légitimes par ces réseaux. Ces derniers tendent parfois à se faire justice à la place de la justice, à faire la loi à la place de la loi. Ce qui sonne comme un espace de débat démocratique où tout citoyen ou utilisateur aurait la possibilité de s’exprimer se transforme alors en champ de massacre où les idées s’oublient et laissent place au vacarme et à la violence. Coco se place donc du côté de ce qui est attaqué dans ce contexte : la liberté de pouvoir s’exprimer et de ne pas être d’accord sans mettre en danger sa vie.

• Les limites de la liberté d’expression s’appliquent-elles en ligne sur les réseaux sociaux ?

• Quelles pratiques avez-vous sur les réseaux sociaux ? Vous arrive-t-il de participer à des débats sur les réseaux sociaux ? Si oui, diriez-vous en face ce que vous écrivez en ligne ?

• Anonymat : lorsque l’on se cache derrière un pseudonyme en ligne, est-on un citoyen participant au débat démocratique ?

© Coco, Charlie Hebdo, n°1433, 7 janvier 2020