L'HUMOUR, UN PRINCIPE SACRÉ !
Humour, Rire, Se moquer, Religions, Respect
Ce dessin est en couleurs. On y voit trois hommes, côte à côte et face au lecteur. Ils sont tous vêtus de la même manière : un long habit ample et terne, un chapeau sur la tête et de grosses bottes sombres. Ils tiennent dans leurs mains un livre ou un texte. Le premier à gauche, au chapeau blanc, tient un livre jaune où il est écrit « Bible ». Le deuxième au milieu, au chapeau noir, à la barbichette et aux papillotes, tient un grand rouleau de papier où il est inscrit « Torah ». Enfin, le troisième à droite porte un petit chapeau gris et plat, une barbe plus fournie et tient dans sa main gauche un livre bleu avec pour titre « Coran ». Les trois hommes ont la même expression faciale : ils sont courroucés.
On remarque un titre au-dessus du dessin : « ET DIEU CRÉA… L’HUMOUR. » et une réponse dans une bulle au-dessous prononcée par les trois personnages : « C’EST ÉCRIT NULLE PART ! » En bas à droite, la signature de la dessinatrice de presse Coco.
Ce dessin est publié dans le journal satirique Charlie Hebdo daté du 5 avril 2017. Il figure en page 2 et s’inscrit dans une double-page composée de dessins, de chroniques et de citations du livre posthume de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes paru aux éditions Les Échappés le 16 avril 2015. Ce texte a été finalisé deux jours avant l’attentat terroriste du 7 janvier 2015 qui a tué 12 personnes, dont l’auteur.
Pourquoi parle-t-on de la lettre de Charb en avril 2017 ?
Dans ce livre, Charb, alors directeur de la publication de Charlie Hebdo, s’attaque à ceux et celles qui font l’amalgame entre « critique de la religion » et « racisme. » Dans l’introduction de son texte, Charb écrit : « Si tu penses que la critique des religions est l’expression d’un racisme, (…) Si tu penses que les musulmans sont incapables de comprendre le second degré, (…) Si tu penses qu’il est essentiel de classer les citoyens selon leur religion, (…) Si tu penses que les fachos attaquent surtout l’islam lorsqu’ils visent un Arabe, (…) Alors, bonne lecture, parce que cette lettre est pour toi. » Ce texte a depuis sa publication été mis en scène et a donné lieu à des représentations, notamment par le comédien Gérald Dumont qui le jouait d’ailleurs depuis 2016 dans les écoles pour engager le débat sur la différence entre critique des idées et attaque de la personne de telle ou telle croyance. En avril 2017, Charlie Hebdo décide de consacrer une double page sur les multiples déprogrammations de lectures publiques ordonnées par différentes municipalités et/ou lieux de culture. L’argument avancé étant que le texte serait trop sensible et trop provocateur. Afin d’anticiper des polémiques ou des contestations de tous les bords culturels ou militants, des lieux comme l’université Lille 2 ou la Manufacture d’Avignon ont préféré se passer des représentations. Pas de lecture, pas de débat, pas de polémique ! Et pas d’esprit critique. C’est donc dans ce contexte que Charlie Hebdo décide de publier cette double-page et donc que le dessin de Coco intervient.
La dessinatrice questionne d’une part la place de l’humour en religion et d’autre part la possibilité que les religions puissent être des sujets d’humour. Les trois personnages représentés incarnent les trois grands monothéismes : le christianisme, le judaïsme et l’islam que l’on reconnaît grâce aux livres et aux textes propres à chaque religion ainsi qu’aux attributs physiques prêtés aux hommes. Ils deviennent des personnages totems qui représentent plutôt que l’individu croyant, un personnage incarnant la religion en soi ou bien les idées de celles-ci.
Rire ou se moquer : de, en et avec.
Pas d’humour en religion ? C’est ce que nous indique a priori le dessin de Coco. Les personnages courroucés ou irrités le seraient parce qu’ils ne trouvent pas la mention de l’invention de l’humour par leur Dieu dans leur texte, Dieu pourtant à l’origine de la création de tout, donc de l’humour. La dessinatrice ici pointe du doigt le religieux qui refuserait l’existence de l’humour, de manière générale ou bien quand celui-ci concerne sa chapelle. L’austérité des trois personnages produite par les visages blafards et les vêtements ternes tend pour le coup à critiquer le manque d’humour dans le dogme. Ainsi, ce dessin réintroduit l’humour en ridiculisant ceux qui combattent le rire et réaffirme que le sujet religieux peut être également un sujet de rire.
L’offense pour l’autre
Mais qui dit réellement « C’est écrit nulle part ! » ? Pour aller plus loin maintenant, reprenons la phrase d’introduction de Charb dans sa Lettre : « Si tu penses que les musulmans sont incapables de comprendre le second degré (…) » Ce dessin dénoncerait aussi le discours qui consiste à dire que rire des dogmes religieux et du religieux serait un affront contre ses croyants, comme si le croyant par définition était privé de la possibilité de rire de sa propre religion et donc privé d’autodérision. Le dessin dénonce donc aussi le présupposé que par définition le croyant serait offensé quand sa chapelle est le sujet du rire, offense parfois ressentie par des personnes étrangères à la religion en question. Considérer qu’il est impossible de rire des idées religieuses ou que celles-ci soient de la matière à blagues parce que cela heurterait les croyants, c’est faire d’une part l’amalgame entre attaque moqueuse et vile des croyants, ce qui peut tomber sous le coup de la loi, et d’autre part rire d’une idée, ce qui pour le coup est permis en démocratie. Le rire est inclusif : considérer que le croyant n’est pas capable d’humour, comme le dit Charb et comme l’on pourrait le comprendre dans le dessin de Coco, c’est parler pour lui et lui ôter ce que le rire peut parfois produire : la joie.
• Quelle est la différence entre rire et se moquer ?
• Rire des idées religieuses, est-ce nécessairement s’en prendre à ses fidèles ?
© Coco, Charlie Hebdo, n°1289, 5 avril 2017