FEMME, VIE, LIBERTÉ !

IRAN. LIBERTÉS. DROIT DES FEMMES. MAHSA AMINI
COCO, Charlie Hebdo n°1574, 21 septembre 2022.

Au premier plan, on distingue un corps allongé sur un lit à roulettes et recouvert d’un tissu duquel dépassent deux pieds et une main. Une étiquette est accrochée à l’un des orteils du pied droit. Seuls ces deux éléments – le tissu et l’étiquette – sont colorés en jaune pâle, le reste du dessin est en noir et blanc.

Au second plan, à côté du lit, se tiennent deux hommes en uniforme, au visage grimaçant. L’un porte une matraque et des rangers. Le second, barbu, désigne le corps et déclare dans une bulle « C’est quand même plus présentable ».

En haut du dessin, un titre : « Téhéran : mort d’une Iranienne arrêtée par la police des mœurs ».

En bas, à droite la signature de la dessinatrice Coco.

Ce dessin est paru le 21 septembre 2022, en page 6 de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, à la rubrique « Le monde en roue libre ».

  • À quoi fait référence la scène dessinée ? 

Un lit à roulettes, un corps recouvert d’un drap, une étiquette sur un doigt de pied… Pas de doute : nous sommes dans la morgue d’un hôpital. Mais où ?

Le titre du dessin nous met sur la voie. En effet, quelques jours avant sa publication, le 16 septembre 2022, une jeune Iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, meurt à Téhéran après avoir été arrêtée et frappée par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés ». Son voile était juste mal ajusté et laissait dépasser une mèche de cheveux.

  • Qu’est-ce que la police des mœurs ? 

En Iran, il s’agit de la police religieuse, une sorte de milice de la moralité, qui veille à ce que la loi islamique et les codes vestimentaires en vigueur soient respectés : les rassemblements mixtes et les manifestations sont bannis ; les femmes doivent porter le hijab et des vêtements amples en public (pas de manteaux courts au-dessus du genou, pas de pantalons serrés, pas de jeans troués ni de couleurs vives, etc.).

En cas d’atteinte à ces règles, les agents de cette unité sont autorisés à arrêter, à embarquer et à emprisonner les « contrevenants » dans des « centres d’éducation ».

La police des mœurs est reconnaissable à l’uniforme vert porté par ses agents et au tchador noir qui couvre ses agentes. Le corps dessiné ici est donc celui de Mahsa Amini, décédée le 16 septembre 2022 des suites des coups violents assénés par la police des mœurs lors de son interpellation. Et les propos tenus par le police : « c’est quand même plus présentable », font directement écho au motif officiel de l’arrestation de la jeune femme : « port de vêtements inappropriés ».

Pousser le raisonnement des mollahs jusqu’à l’absurde.

En choisissant de coloriser uniquement le linge mortuaire et l’étiquette d’identification du cadavre et l’étiquette d’identification, la dessinatrice fait un lien entre le tissu et la mort, et guide notre regard vers la victime : ce dessin est d’abord un soutien en hommage à Mahsa Amini, décédée pour un bout de tissu.
Ensuite, en imaginant la réaction des policiers devant le corps de celle qu’ils ont tabassée à mort et en qualifiant le drap qui recouvre le cadavre de « plus présentable » comme s’il s’agissait d’un vêtement plus « approprié », Coco pousse la rhétorique de la loi islamique jusqu’au bout : en Iran, une femme présentable est une femme… morte ! Mieux vaut être voilée intégralement que vivante et mal peignée.
La dessinatrice puise donc dans l’ironie et l’humour noir pour mettre en scène ce qu’elle dénonce : la violence des contraintes vestimentaires imposées aux femmes au nom de la religion et la brutalité de la théocratie pour les faire
appliquer.

  • Mahsa Amini,le symbole d’une révolte

L’annonce du décès de la jeune fille provoque la colère de la jeunesse iranienne : partout dans le pays, des manifestations spontanées s’élèvent contre le port du voile obligatoire. Mahsa Amini devient le symbole de l’oppression des femmes par le régime des mollahs et l’icône d’une protestation sans précédent.
Malgré la répression, la mobilisation dure des mois et donne à voir des scènes inimaginables en pleine rue et sur les réseaux sociaux : les Iraniennes libèrent leur chevelure, brûlent leur hijab et provoquent la police ; les Iraniens renversent les turbans des mollahs, se filment et publient les vidéos.
Cette révolte, initiée par les femmes, devient une lutte pour les droits de tous et pour la reconquête des libertés confisquées par le pouvoir religieux depuis la révolution islamique en 1979.

  • ژن، ژیان، ئازادی ! Jin, Jiyan, Azadi ! Femme, Vie, Liberté !

Ce slogan vient des montagnes du Kurdistan, c’était celui du mouvement de libération kurde à la fin du XXe siècle. Après la mort de Mahsa Amini, il est scandé au Kurdistan iranien, région natale de la jeune femme et foyer initial de la protestation, puis il devient le cri de ralliement de tous les manifestants, en Iran et dans le monde. En France par exemple, des femmes et des célébrités se sont coupé une mèche de cheveux en soutien avec les Iraniennes et le journal Charlie Hebdo a lancé un concours international de caricatures de l’ayatollah Ali Khamenei pour exprimer sa solidarité avec les Iraniens qui risquent leur vie pour défendre leurs libertés.

  • Qu’est-ce que le « régime des mollahs » ?

Un mollah est un érudit musulman en Iran, au Pakistan, en Afghanistan, en Inde ou en Turquie. Dans le monde arabe, on parle d’imams ou d’oulémas.
Les mollahs portent une cape et un turban : le turban noir est réservé aux descendants de la famille du prophète, le turban blanc aux dignitaires ordinaires. Depuis la révolution islamique en 1979 qui renversa le Shah d’Iran (le roi), plus qu’aux mollahs, le pouvoir est aux ayatollahs. L’ayatollah est le titre le plus haut dans la hiérarchie de l’islam chiite.
La République islamique iranienne est un régime à deux têtes avec un chef religieux au pouvoir absolu, le Guide suprême de la Révolution (depuis 1989, c’est l’ayatollah Ali Khamenei) et un président élu au suffrage universel tous les quatre ans. C’est donc une théocratie (la loi est dictée par la religion) très dure, très conservatrice et très répressive.
L’Iran fait partie des dix pires pays au monde au Classement mondial 2022 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) : 178e rang sur 180 pays, juste après l’Érythrée et la Corée du Nord.
Pour nous qui vivons dans une démocratie où l’on peut s’exprimer et écrire librement, s’habiller et se coiffer selon nos envies, il est difficile d’imaginer ce que les Iraniens supportent.

  • Où en est la contestation ?

Malgré les coupures d’accès à Internet (qui facilitait les mobilisations) et une répression policière d’une violence inouïe, la contestation n’a pas faibli durant près de cinq mois. Depuis février 2023, elle semble avoir été matée par le régime.
Selon l’ONU et un rapport de l’ONG norvégienne Iran Human Right publié le 1er février : depuis le début de la contestation, 14 000 personnes ont été arrêtées, près de 530 personnes dont 71 enfants ont été tuées lors des manifestations, 55 personnes ont été condamnées à mort et exécutées. Et de nombreux témoignages font part de tortures extrêmes et de viols collectifs contre les manifestants incarcérés.
La colère est peut-être moins visible, mais elle est toujours là.

Charlie Hebdo, Concours #MullahsGetOut

 

Lire Femme, vie, liberté, un ouvrage collectif sous la direction de Marjane Satrapi, édition L’iconoclaste. Marjane Satrapi a réuni trois spécialistes : Farid Vahid, politologue, Jean-Pierre Perrin, grand reporter, Abbas Milani, historien, et dix-sept des plus grands talents de la bande dessinée pour raconter ce qui n’a pu être filmé ou photographié sous la censure lors des événements qui ont éclaté le 13 septembre 2022, en Iran.

©Coco, Charlie Hebdo n°1574, 21 septembre 2022.