DERRIÈRE NOS PROFS !

Éducation, terrorisme, soutenir nos professeurs et les valeurs de la République

Ce dessin est en couleurs. On voit plusieurs personnages. Au centre, un homme au pull bleu avec un petit col de chemise blanche qui dépasse. Son corps est droit et bascule vers l’arrière. Son visage donne un sentiment d’indifférence : il a l’air lassé. On note sept couteaux plantés dans son corps tout entier. Deux autres lames arrivent de la gauche du dessin, lancées hors-champ, et s’apprêtent à transpercer notre personnage. Derrière lui, en bas à droite dans le dessin, on remarque quatre personnages plus petits qui le soutiennent du bout des bras. Ils transpirent et ont la langue qui pend. Un titre en rouge occupe l’espace en haut à gauche « Profs… » et il est complété par une bulle prononcée par nos quatre personnages en bas à droite : « On est tous derrière vous. » Le dessin est signé Riss, en bas à gauche.

Ce dessin se trouve en une du journal Charlie Hebdo dont on remarque le titre. Au-dessus il est précisé dans un encart « Attentat d’Arras – 5 pages spéciales » qui est complété par trois appels de une annonçant les articles qu’on retrouvera en ouvrant le journal.

Ce dessin figure en une de Charlie Hebdo paru le 18 octobre 2023. Ce numéro fait suite à l’attentat du 13 octobre 2023 de la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras où le professeur de lettres Dominique Bernard a été assassiné.  Vers 11h du matin, un ancien élève de 20 ans s’est introduit dans le lycée armé de deux couteaux. Il cherchait « un prof d’histoire » selon un professeur de philosophie présent, ce qui fait écho à l’assassinat de Samuel Paty à Conflans Saint-Honorine, le 16 octobre 2020, trois ans plus tôt. Avant l’intrusion dans l’établissement, le terroriste a prêté allégeance au calife de l’État Islamique (EI). Dominique Bernard est tué à coup de couteaux en cherchant à s’interposer. Trois autres agents de l’Éducation nationale ont été blessés ce matin-là. L’assaillant a été arrêté par la police par la suite. Dominique Bernard est le deuxième professeur victime du terrorisme islamiste après Samuel Paty en 2020.

Le dessin de Riss fonctionne par décalage. Le titre « Profs… » et le contexte de publication permettent de nous faire comprendre que ce grand personnage central est un enseignant de l’Éducation nationale. Les couteaux font donc référence aux armes utilisées par l’assaillant du lycée d’Arras. Riss exagère en lui plantant 7 couteaux dans le corps et en le dessinant son air désabusé. La menace contre lui vient du côté gauche et les quatre petits bonhommes sont à droite au second plan. Riss critique ici le « soutien » accordé au professeur. Ces petits bonhommes à droite qui disent « soutenir » le prof sont en fait plutôt en train de se cacher derrière lui, comme si l’enseignant servait de rempart confortable pour éviter de se prendre les couteaux. La bulle est donc ironique et repose sur un jeu de mots : le soutien accordé n’est qu’en fait de l’intérêt de ces quatre petits lâches qui se cachent derrière lui.

 

Riss a plusieurs objectifs ici : d’abord traiter du sujet d’actualité en évoquant l’attaque terroriste d’Arras, puis défendre les profs qui ont été ciblés et enfin – et surtout – critiquer et dénoncer ceux qui semblent soutenir les profs mais qui leur laisse le privilège d’être en première ligne face à une menace réelle. En dessinant le prof dans cette posture, le dessinateur se place de son côté et par extension du côté de ceux qui sont abandonnés face à un danger qui s’est matérialisé à Arras par des couteaux et qu’on retrouve ici dans le dessin de la même manière. La caricature qui semble tourner en dérision un sujet grave repose sur un double mouvement : défendre et dénoncer. D’une part c’est défendre les professeurs qui sont exposés et d’autre part c’est dénoncer la violence terroriste qui les touche.

• Quel est le rôle de l’école dans une société démocratique ?

• Pourquoi des profs ont-ils été visés par des terroristes islamistes ?

© Riss, Charlie Hebdo, n°1630, 18 octobre 2023