SÉPARATION DES ÉGLISES & DE L'ÉTAT
République, Religions, Anticléricalisme, Laïcité
En haut à gauche, assis sur un nuage et triangle d’or derrière sa tête, Voltaire émet de ses mains des rayons de lumière. Ces derniers sont dirigés vers un petit personnage robuste, à gauche, entièrement vêtu de rouge, doté d’une moustache et d’une barbe et soulève de ses deux bras une hache énorme. C’est Émile Combes, un homme politique français, qui est ici dessiné avec son air sévère et déterminé. Puis, sous le nuage de Voltaire à droite, on remarque une femme au dos courbé, vêtue d’une robe bleue, blanche, rouge et d’un bonnet phrygien : c’est la Marianne attachée à une corde. Elle regarde vers l’arrière par-dessus son épaule l’homme à qui elle est reliée. Il est coiffé d’une tiare, tient une brioche dans une coupe faisant office d’eucharistie à la main gauche, et porte une ample tenue blanche et dorée : c’est le pape Saint Pie X. Cette corde qui attache ce dernier à Marianne est noué par un nœud inextricable que l’on appelle « nœud gordien. » En bas à droite dans le coin de l’image, on distingue un homme d’Église, certainement un moine que l’on reconnait à sa coule blanche et à son chapelet et sa croix chrétienne au tour du cou. Il est allongé dos au sol, le nez rougi par l’ivresse et l’alcool et tient dans ses bras une bouteille pleine qu’il voudra assurément ouvrir une fois réveillé. Sur sa croix, un verre de vin est gravé. Si on perçoit les visages de Voltaire, d’Émile Combes et partiellement de Marianne, ceux de Saint Pie X et du moine sont indiscernables. En bas à gauche, on relève une signature difficilement identifiable.
Publié en 1904, l’auteur de cette lithographie reste inconnu. Le dessin évoque ici l’épisode de la séparation violente des liens entre le Saint-Siège de l’Église catholique au Vatican et de l’État français en 1904. Le débat sur le pouvoir de l’institution catholique dans les strates administratives et étatiques de la France n’est pas intervenu à cette date. La fin du XIXe siècle connait une accélération de la « laïcisation » du pays et de la sécularisation de l’État, c’est-à-dire une neutralisation de l’influence de l’institution religieuse sur les institutions publiques d’une part et une récupération par l’État de biens et de ressources qui étaient jusque-là des privilèges de l’Église d’autre part. Cette offensive anticléricale est notamment menée par Émile Combes, chargé de l’instruction publique dans un premier temps puis président du conseil des ministres au moment de la rupture avec le Vatican et son nouveau représentant Saint Pie X à partir de 1902.
La IIIe République qui débute en 1870 est marquée par une volonté de laïciser le fonctionnement politique et l’administration de l’État. Au début des années 80, un ensemble de mesures sont prises allant dans le sens de la sécularisation imaginée presque un siècle auparavant lors de la Révolution française. Le divorce est par exemple autorisé en 1884, 88 ans après la distinction du mariage civil et du mariage religieux à l’occasion de la loi du 20 septembre 1792 qui laïcise l’État civil.
La vie politique se déchire entre les anticléricaux, c’est-à-dire ceux qui luttent contre le pouvoir de l’Église prônant une République laïque et les conservateurs catholiques qui veulent que l’institution religieuse conserve l’intégralité de son pouvoir. Après 1898, et la publication des preuves innocentant Dreyfus, le débat public va se tendre. Pendant une quinzaine d’année, les différents groupes politiques, des républicains laïques aux conservateurs de droite, arrivaient à se parler. Mais, l’affaire Dreyfus vient fragmenter la société avec une montée de l’antisémitisme. Les laïques et les conservateurs catholiques s’écharpent, et l’objectif premier des laïcistes comme Émile Combes ou Aristide Briand est d’épurer la République et l’État de toute substance institutionnelle religieuse. Une réelle guerre est menée contre l’Église, le Vatican et les organismes catholiques du pays.
La gauche républicaine arrivant au pouvoir en 1902, le champ est libre pour mener cette lutte sur le plan législatif. Le nouveau gouvernement reprend le chantier de Ferry en se penchant notamment sur l’école et plus largement sur l’éducation dans le pays. L’État en 1902 a le contrôle et le pouvoir d’autoriser et de fermer les congrégations du pays, c’est-à-dire les institutions de formations religieuses, notamment par le biais de la loi de 1901 sur le droit d’association et de parti. De plus, on leur interdit tout enseignement. En 1904 maintenant, plus radical encore, il a été proposé d’interdire les congrégations. Les incidents diplomatiques entre le Vatican et la France rendent le régime concordataire de 1802 obsolète. La séparation entre le Vatican et l’État français est inévitable. Une commission parlementaire est installée pour envisagée les nouvelles relations entre les églises et l’État. Elle conduira à la loi de 1905
Cette lithographie est une allégorie à charge. Son rôle n’est pas simplement d’illustrer et de raconter l’épisode de rupture entre le Vatican et la République, mais d’attaquer le pouvoir de l’institution religieuse. Plus encore, cette allégorie regorge d’élément caricaturaux servant à désacraliser et ridiculiser le camp clérical. Le moine au sol cuvant son vin ridiculise et se moque des hommes d’églises. Le pape quant à lui, la brioche en guise d’eucharistie, est présenté comme précieux. De plus, si on se penche sur ses vêtements, on remarque que le symbole du Saint Esprit est enfermé dans une cage dorée. Les visages qu’on ne perçoit pas sont les indicateurs d’une forme d’obscurantisme que l’artiste ici critique et que Combes ici souhaite combattre. En reprenant des codes graphiques épiques ou classiques, il magnifie le combat de l’homme politique en le présentant comme un guerrier libérateur capable de défaire par la section un nœud pourtant impossible à défaire, aidée par Voltaire qui est ici ambassadeur de la pensée des Lumières. La seule solution pour libérer Marianne, allégorie de la République, est donc une coupe nette. Pour libérer la République, il faut donc rompre le lien qui l’attache à l’Église et à ses vices.
Démocratie est/et laïcité
La loi de 1905 est considérée comme le texte fondateur de la laïcité, même si le terme n’est pas explicitement indiqué. La laïcité est l’un des principes fondateurs de la République française. Instituée par la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, elle est inscrite dans la Constitution en 1958. C’est un principe d’organisation de l’État qui permet de garantir et de faire coexister les libertés d’opinion, de conscience et d’expression. C’est également l’impartialité et la neutralité de cet État à l’égard des confessions religieuses. Enfin, elle garantit l’égalité de tous devant la loi, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions. En d’autres termes, la laïcité est un principe d’égalité : tous les citoyens sont considérés et perçus de la même manière par l’État. Dans un pays laïque, il n’y a pas de religion d’État, ni de liberté religieuse qui serait supérieure aux autres libertés, et le délit de blasphème n’existe pas. On peut rire, critiquer et se moquer des religions. La laïcité n’est pas une conviction, mais le principe qui les autorise toutes.
En plus de concilier toutes les croyances, la laïcité sépare les Églises et l’État. Ainsi, l’État ne s’immisce plus dans les affaires religieuses, hormis pour ce qui relève de la loi, comme les incitations à la haine ou les délits. L’État ne nomme plus les représentants religieux. De même, les Églises ne disposent plus de moyens pour influencer l’État. Il est désormais régi par une constitution laïque.
• Qu’est-ce que la laïcité pour vous ?
• Critiquer les institutions religieuses est-ce critiquer les croyants ?
Anonyme, « La Séparation des Églises et de l’État, lithographie, 1904, © Ville de Castres (Tarn), Centre national et musée Jean Jaurès