RIRE DE LA PEUR

Exécution d'otages. Propagande djihadiste.
BICHE, dessin gagnant du concours DCL, mars 2018.

Thématiques :
– Terrorisme : exécution d’otages et propagande djihadiste.
– Ironie et humour noir : peut-on rire de la mort ?

Contrairement au dessin de la vidéo qui est en noir et blanc, le dessin qui a gagné le concours était en couleur.
La composition graphique suit une ligne d’horizon qui coupe le dessin en deux. Dans la partie supérieure : le ciel bleu. Dans la partie inférieure : une mer de sable. On est dans le désert.
Debout, avec le ciel en arrière-plan, se tiennent trois hommes barbus, enturbannés et habillés de manière identique avec une combinaison kaki et des gants aux mains.
À leurs pieds, à genoux sur le sable et les mains dans le dos, trois individus portent une combinaison orange et un sac sur la tête avec des visages en smiley : l’un tire la langue, l’autre a les yeux en croix et la bouche en zigzag, le troisième se marre en faisant un clin d’œil.
Ces six personnages regardent le lecteur droit dans les yeux.
Le dessin est titré : « Rire de la peur ». L’un des hommes déclare dans une bulle :
« On voudrait pas choquer ».
En bas à droite la signature du dessinateur : Biche.

Au printemps 2018, quand Biche réalise ce dessin, Daech* revendique les
attentats qui ensanglantent le monde et l’organisation demeure très active sur les réseaux sociaux. Son objectif : radicaliser et embrigader un maximum de gens, en particulier les jeunes, pour qu’ils rejoignent les rangs de leurs combattants et répandent le djihad au Moyen-Orient, au Maghreb, en Afrique et en Europe. Pour les cibler, ils produisent des courts métrages qui reprennent les codes cinématographiques et populaires des films de guerre hollywoodiens.

Modes d’exécution et propagande
Dans ce dessin, on reconnaît la mise en scène de l’État islamique qui filme les
exécutions en direct : dans ces vidéos postées sur Internet, les terroristes sont debout, face caméra, avec chacun un otage à ses pieds. Le dessin s’arrête à cette première séquence, mais dans la réalité et dans un second temps, les terroristes décapitent leurs prisonniers de sang-froid, toujours face caméra.
La publication systématique de ces vidéos d’exécutions sommaires et de massacres de civils répond à une stratégie. Ces images qui circulent sur Internet sont accessibles à tous bien qu’extrêmement violentes à regarder. Et c’est bien l’effet recherché : terroriser les populations, attiser la peur chez les adversaires, prouver une détermination sans limite et tenter de démontrer la puissance de l’organisation. C’est une communication de la terreur.

Dans un dessin de presse, a fortiori s’il est satirique, rien n’est laissé au hasard : toutes les trouvailles graphiques, les expressions choisies et la titraille ont une raison d’être.

Le rire ET la peur.
Le thème du concours de DCL était « le rire ou la peur ». Or, comme Biche le
dit dans la vidéo, il n’a pas voulu choisir, mais a préféré lier ces deux émotions en
associant une scène ultra-violente à des codes de langage numérique ultralégers.

Pour représenter « la peur », il a donc choisi le sujet du terrorisme, en particulier la
communication de la terreur sur Internet.
Pour représenter « le rire », et l’intégrer à son dessin, il a couvert la tête des otages
avec des sacs sur lesquels sont dessinés des smileys, ces émoticons sympathiques qui permettent, sur les réseaux sociaux et les plateformes de discussion instantanée, de résumer ses états d’âme en un seul symbole.
Avec ce procédé graphique, Biche apporte donc un décalage humoristique.

« On voudrait pas choquer ».
Avec cette phrase, Biche use du registre de l’ironie puisque rien, pas même de gentils smileys, ne peut minimiser la barbarie de telles exactions. En exécutant ses prisonniers en direct, l’objectif de Daech est, on l’a dit, de choquer : le dessinateur insiste sur ce sadisme des « fous d’Allah ».

Est-il choquant de rire de la peur ? Peut-on rire de la mort ?
Avec ce dessin qui peut déranger et mettre mal à l’aise, Biche rappelle que rien
n’échappe à la satire : si on s’interdisait de rire de choses graves, le champ de l’humour deviendrait impraticable.
Le dessinateur nous bouscule et nous force à regarder la vérité en face. Il ne rit
évidemment pas des victimes, mais du tragique de la situation, et dénonce la
propagande barbare de Daech en ridiculisant ses bourreaux.
Rire de la mort, ce n’est pas rire des morts : l’humour noir est un subterfuge pour
mettre l’horreur à distance, pour éviter de sombrer dans l’effroi, la tristesse et la
dépression. C’est un pas de côté salutaire, une pulsion de vie pour continuer malgré tout.

Biche, gagnant du concours de dessin de presse de Dessinez Créez Liberté / juin 2018.