RELIGION & CARICATURE DE MAHOMET

LIBERTÉ D’EXPRESSION. LIBERTÉ DE CONSCIENCE .BLASPHÈME. ISLAMISME.
Coco, Charlie Hebdo, 19 septembre 2012.

Le dessin est en noir et blanc, avec une touche de jaune.
Il représente un homme entièrement nu se prosternant, portant une barbe fournie et un bonnet blanc. Une grande étoile jaune à cinq branches cache l’anus du personnage et laisse apparaître une paire de testicules et un bout de phallus.
En haut, le titre du dessin, « Mahomet : une étoile est née ! ».
En bas à droite, la signature de la dessinatrice Coco.

Ce dessin est paru le 19 septembre 2012 à la dernière page de Charlie Hebdo avec de nombreux autres dessins, dans la rubrique « Les couvertures auxquelles vous avez échappé ».
• Fin juin 2012, un film américain intitulé Innocent of Muslims (« L’Innocence des musulmans ») est diffusé dans un petit cinéma indépendant, le Vine Theater, sur Hollywood Boulevard, devant moins de dix spectateurs.
Il a été réalisé par un Copte égyptien, résidant en Californie, sous le pseudonyme de Sam Bacile, dont le but, dira-t-il, était de montrer les « hypocrisies » de l’islam en mettant en scène des passages de la vie de Mahomet. Un film à très petit budget qui se veut humoristique : en fait, un véritable navet qui tourne le Prophète en dérision, porté par de très mauvais acteurs et des blagues lénifiantes, avec des accessoires en carton, des postiches
grotesques et des incrustations outrancières, qui montre un Mahomet bisexuel, obsédé par le sexe, coureur de jupons et voleur.
• Le 2 juillet 2012, un extrait du film est posté sur YouTube, en anglais. Aucune réaction.
• En septembre 2012, l’extrait est sous-titré en arabe. Le Moyen-Orient s’embrase et dénonce un blasphème envers Mahomet. Des manifestations violentes se multiplient, les missions diplomatiques américaines sont attaquées en Égypte et quatre diplomates sont assassinés en Libye, dont l’ambassadeur des États-Unis. Au Soudan, des assauts contre les ambassades d’Allemagne et du Royaume-Uni ont également lieu.

En France, le délit de blasphème n’existe pas, on peut rire des religions.

  • Comme tout dessinateur de presse, Coco traite un thème de l’actualité et porte un regard personnel sur l’impact de L’Innocence des musulmans dans une partie du monde musulman en septembre 2012. À l’image de ce navet cinématographique dont Mahomet est le héros, la dessinatrice met en scène le Prophète en reprenant des codes du cinéma hollywoodien :
    • le titre « une étoile est née » est la traduction littérale de A Star Is Born, un film musical américain de 1954 de George Cukor qui raconte le succès d’une jeune chanteuse, et une expression courante pour qualifier l’ascension triomphale d’un artiste.
    • l’étoile jaune à cinq branches sur les fesses du personnage est un clin d’œil aux étoiles que l’on retrouve sur le Walk of Fame (« la promenade de la célébrité »), ce trottoir d’Hollywood Boulevard où fut diffusé le film en question et où figurent les noms de célébrités.
  • Ici, comme dans le film, la star, c’est Mahomet ! D’ailleurs, dans ce numéro de Charlie Hebdo, de nombreux dessins satiriques illustrent Mahomet en acteur dans des scènes imaginaires ou des séquences cultes du cinéma français. Dans un dessin de Luz, par exemple, Mahomet adopte la pose lascive de Brigitte Bardot dans Le Mépris et reprend cette fameuse réplique : « Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses? ». L’hebdomadaire consacre également une page entière à cette actualité non pas pour s’attaquer aux musulmans, mais pour dénoncer la violence des manifestations. Dans un petit texte intitulé « Rire, bordel de Dieu », Charb interpelle directement les islamistes qui instrumentalisent la religion pour mieux faire taire les libertés démocratiques.
  • En représentant Mahomet, Coco transgresse un interdit religieux qui ne concerne que certains musulmans (il existe de nombreuses représentations du prophète Mahomet produites en terres d’islam à partir du XIIIe et jusqu’au XIXe siècle, notamment en Iran, dans des miniatures illustrant des chroniques historiques, des textes littéraires ou des œuvres poétiques) et vient réaffirmer son droit d’exercer sa liberté de conscience. Avec ce dessin, elle rappelle que les religions n’ont pas à jouir d’un statut à part, d’un traitement de faveur ou d’une exception qui les placeraient hors du champ de la critique, de l’humour ou de la polémique. Respecter un croyant, c’est lui laisser la liberté de croire et de pratiquer sa religion. Respecter un non-croyant, un athée ou un agnostique, c’est lui laisser la liberté de ne pas croire, de critiquer et de rire des religions, de railler et de dénoncer ceux qui tuent au nom de celles-ci.
    Les limites à la liberté d’expression ne se déterminent pas en fonction de ce qui plaît ou déplaît à une personne ou à un groupe. La loi protège des citoyens, pas des mythes : on peut rire des religions, de leurs dogmes et de leurs porte parole, mais on ne peut pas appeler à la haine contre les croyants.
  • Enfin, en faisant le choix de dessiner un personnage totalement nu et vu de dos, de placer l’étoile hollywoodienne sur son anus, de laisser dépasser les testicules et le sexe du personnage, la dessinatrice s’inscrit dans des procédés inhérents à la caricature : la sexualisation outrancière et la grivoiserie, ces jubilations de l’excès qui malmènent, à dessein, les puritanismes en tout genre.

Lors d’un cours sur la liberté d’expression, ce dessin a été montré par Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine, décapité par un islamiste radical, le 16 octobre 2020.
« Que mon dessin soit lié à cette tragédie, c’est difficile à comprendre. Quand on dessine pour un journal satirique, on le fait pour se marrer, pour faire réfléchir, jamais pour que ça mène à une barbarie pareille. Mais je ne me sens pas responsable, il ne faut pas retourner la situation : moi, j’ai fait mon job de dessinatrice de presse en réagissant à une actualité et en prenant une feuille de papier et un crayon. Samuel Paty a fait le sien en enseignant la liberté de conscience et la liberté d’expression. Une caricature n’est jamais gratuite : on
ne se lève pas le matin en se disant : “Tiens, je vais me faire Jésus ou Mahomet !” C’est l’actualité qui nous guide. Là, en l’occurrence, une partie du Moyen-Orient était, une fois encore, mis à feu et à sang par des intégristes qui n’ont sans doute jamais vu ce navet anti-islam. Anti-islam, pas anti-musulmans, comme ils ont essayé de le faire croire. Je me suis inspirée de références communes – le cinéma – en me demandant où mettre l’étoile hollywoodienne. Par un retournement graphique, j’ai mis mon personnage dans une position ingrate à l’image de la star de pacotille qu’il était dans ce film. Et j’ai collé l’étoile sur son trou de balle ! On voit ses testicules parce que Mahomet n’est qu’un homme, et comme tous les hommes, il a, me semble-t-il, des testicules et un pénis !
Je me suis toujours sentie très bien avec le droit au blasphème : ce qui est sacré pour l’un ne l’est pas pour l’autre, et la nature de la caricature, c’est de désacraliser. Pour moi, ni le corps ni la religion ne sont tabous.
Avec ce dessin, je fais un usage absolu de ma liberté d’expression, je l’utilise pleinement comme nous y invite la devise du Canard enchaîné, car « la liberté de la presse ne s’use que lorsque l’on ne s’en sert pas. »

Cette fiche a été conçue pour le webinaire du 30 octobre 2020, à destination des enseignants. Le but à l’époque : donner aux professeurs qui le souhaitaient un outil pour répondre aux questions des élèves qui les interrogeraient.

Retrouvez l’intégralité de cette conférence en ligne, la présentation en PDF, les conseils et erreurs à éviter lorsqu’on aborde la liberté d’expression, les caricatures et le droit au blasphème avec les élèves, en cliquant ici.