TALIBANS & DROITS DES FEMMES
Afghanistan. Patriarcat. Violences faites aux femmes
Le dessin est en noir et blanc. Il est construit comme une planche de bande dessinée et découpé en six cases successives qui se lisent de gauche à droite et de haut en bas. Cette planche décompose différentes étapes d’une même action.
• Dans la première vignette, on voit un homme barbu, coiffé d’un béret, armé d’un fusil d’assaut. Il tient une burqa, ce voile féminin d’origine afghane avec une grille au niveau des yeux qui couvre intégralement le corps et la tête. A côté de l’homme, se tient une femme au visage triste, vêtue d’une jupe et d’un pull, la tête recouverte d’un voile. Seule une mèche de cheveux dépasse.
• Dans la deuxième vignette, l’homme revêt la femme de la burqa.
• Dans la troisième vignette, l’homme agite une baguette au-dessus de la femme, dont on ne voit plus que les pieds et les mains.
• Dans la quatrième vignette, l’homme tient toujours sa baguette. La burqa s’est affaissée sur elle-même et un petit nuage s’en échappe. On ne voit plus la femme.
• Dans la cinquième vignette, l’homme reprend la burqa, la femme a disparu, laissant place à de minuscules têtes de mort.
• Dans la sixième et dernière vignette, on voit, au second plan, un groupe de femmes avec un voile sur les cheveux. Pressées les unes contre les autres, elles croisent leurs bras sur elles-mêmes comme pour se protéger d’une menace. Elles semblent terrorisées. Au premier plan, l’homme les interpelle avec la burqa à la main et hurle : « … SUIVANTE ! »
En bas à droite, la signature de Coco.
Ce dessin est paru le 9 mai 2022 sur le site du quotidien Libération dans la rubrique « Signé Coco » dédiée à la dessinatrice.
Bien que le dessin ne comporte ni titraille ni éléments de langage susceptibles de situer l’action, il nous propulse immédiatement en Afghanistan grâce à l’association de deux éléments : la burqa et le pakol, ce béret traditionnel, en laine et à bourrelets, porté par la plupart des hommes afghans. Deux jours avant la publication de ce dessin, le chef suprême de l’Afghanistan a décidé de rendre le port de la burqa obligatoire. Une décision qui s’inscrit dans une politique générale de recul des droits des femmes depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021.
Qui sont les talibans ?
C’est un groupe d’hommes fanatisés, armés et ayant une lecture extrémiste du Coran. Formés dans les écoles pakistanaises, ils ont pris le pouvoir en Afghanistan de 1996 à 2001 où ils ont établi une véritable dictature théocratique fondée sur une conception radicale de la charia. Ils ont imposé un régime totalitaire ultra violent allant à l’encontre des droits humains, en particulier concernant les femmes. Ils ont été chassés en 2001 par une coalition internationale qui s’est retirée du pays en 2021, laissant les talibans reprendre le pouvoir.
Le dessin permet d’inventer des situations fantasques, pour faire passer un message. Ici, Coco met en scène un taliban qui, comme le ferait un magicien, dissimule une femme sous un tissu et la fait disparaître avec une baguette magique. Un tour que l’homme s’apprête à reproduire avec toutes les femmes en arrière-plan. En s’appuyant sur ce tour éculé du prestidigitateur qui fait disparaitre son assistante et en remplaçant le magicien par un taliban, Coco traite d’un sujet grave avec humour : elle dénonce ces fanatiques qui sapent tous les droits acquis en vingt ans et nous alerte sur la disparition progressive des Afghanes de l’espace public. Depuis le retour des talibans au pouvoir, les femmes n’ont plus accès aux emplois publics, les fillettes sont privées d’école et les étudiantes exclues des universités. La légèreté du dessin n’est qu’apparente : en Afghanistan, l’invisibilisation des femmes n’est ni un jeu de passe-passe, ni un tour de magie, mais une triste réalité, une tragédie.
• En 2024, où en sont les Afghanes ?
Deux ans après le retour des talibans au pouvoir, leur situation est dramatique. Depuis août 2024, l’effacement des Afghanes est gravé dans la loi. La nouvelle législation leur interdit :
– de faire entendre leurs voix en public, de lire à haute voix ou de chanter,
– de sortir de chez elles sauf « en cas de nécessité »,
– de se déplacer seule sans un mahram, un membre masculin de la famille avec qui le Coran interdit de se marier,
– de regarder les hommes avec lesquels elles ne sont pas liées par le sang ou le mariage,
– d’avoir le visage découvert, dans l’espace public évidemment, mais aussi dans la sphère domestique en présence d’hommes n’appartenant pas à leur famille,
– d’aller à l’école et d’étudier.
• Le régime taliban, un crime contre l’humanité ?
Les talibans sont en voie d’entériner une société totalitaire et patriarcale absolue fondée sur la distinction et l’inégalité entre les genres, sur la privation totale des droits et des libertés des femmes. Dissimulées sous la burqa, cloîtrées chez elles, battues, mariées de force, violées, emprisonnées arbitrairement, lapidées, torturées, réduites au silence et rendues invisibles, les Afghanes sont opprimées uniquement parce qu’elles sont des femmes. L’ONU et de nombreuses ONG, comme Amnesty International, estiment qu’au regard des persécutions organisées, généralisées et systématiques dont elles sont victimes, on peut parler « d’apartheid de genre ». Certains considèrent même que la guerre menée par les talibans contre les femmes constitue un crime contre l’humanité, défini en droit comme un acte criminel spécifique à l’encontre d’un groupe humain et violant gravement les droits de la personne.
• Quid des Afghans ?
Promulguée pour « promouvoir la vertu et prévenir le vice », la liste des restrictions drastiques imposées par les talibans aux hommes est longue. On leur interdit :
– la musique en voiture, d’y transporter une femme sans burqa ou une femme en présence d’hommes n’appartenant pas à sa famille, ou d’une femme sans mahram,
– l’adultère,
– l’homosexualité,
– les jeux d’argent,
– la création ou le visionnage d’images d’êtres vivants,
– l’absence de barbe ou une barbe trop courte,
– toute relation ou amitié avec « un infidèle » c’est à dire un non-musulman.
© COCO
Paru dans Libération, le 9 mai 2022